Il est un personnage mystérieux, que le monde du vélo n’a pas encore totalement cerné. Un Russe plein de clichés, au sang froid et à la parole aussi rare que mesurée. Mais Ilnur Zakarin n’est pas que ça. Derrière l’image qu’il renvoie et dont il ne se soucie pas trop se cache un homme atypique au sein du peloton. Qui vient sur la Vuelta de décrocher le premier podium de sa carrière sur un grand tour.

Tatarstan, anabolisant et estomac

Ses doux yeux bleus et sa chevelure juvénile cachent bien des choses. Né dans le Tatarstan, plus de mille kilomètres à l’est de Moscou, Ilnur Zakarin a pris son temps avant d’éclore sur la scène internationale. Assez pour voir du pays, se forger un caractère mais aussi quitter le droit chemin. Des écarts qu’il a reçu en pleine face lorsqu’il a enfin pris son envol, au printemps 2015, sur le Tour de Romandie. A 25 ans, le Russe vit sa première saison en World Tour et il se paie Froome, Pinot, Quintana et quelques autres sur la semaine helvétique. Assez pour susciter la curiosité d’un public qui ne le connaît pas encore, mais qui en cherchant un tout petit peu, tombe sur un contrôle positif à un stéroïde anabolisant en 2009. « C’était une erreur. J’espère le faire oublier et démarrer une nouvelle carrière, tentait alors de justifier Zakarin, quelques mois plus tard. Je ne suis pas affecté quand les gens parlent ou écrivent à ce sujet. Je suis un coureur différent maintenant. Pour moi, tout ça est oublié. »

Difficile, pourtant. Lorsqu’il s’impose en Romandie, pour beaucoup, le garçon sort de nulle part. « Je ne le connaissais pas avant », lâche Tony Martin à l’arrivée du chrono. L’Allemand s’est imposé, mais a vu le Russe terminer troisième du jour, à seulement treize secondes. De quoi interroger. Le palmarès des championnats d’Europe juniors, où Zakarin avait décroché la médaille d’or sur le chrono en 2007, devant Michal Kwiatkowski, ne suffit pas à estomper tous les doutes. Ancien pensionnaire de la maison Rusvelo, foudroyée par des contrôles positifs à répétition, le nouveau venu dans la cour des grands a un passé qui ne parle pas pour lui. Mais il s’en accommode. Il a toujours dû passer au-dessus des obstacles, et les soupçons de dopage ne sont pas de nature à freiner celui qui a failli perdre la vie à un an, touché par une maladie à l’estomac.

Anglais, Chypre et Islam

Costaud dans sa tête, Zakarin se contente de tracer son chemin. En restant très énigmatique. Si ses résultats l’obligent à s’ouvrir, il parle encore très peu anglais et ses interviews se font rares. La relation avec les médias et l’image qu’il véhicule lui importent finalement peu. Seule la famille compte, ou presque. Depuis qu’il est professionnel, il envoie régulièrement de l’argent à ses parents, soudeurs dans une usine locale du Tatarstan. Et lorsqu’il est victime d’une chute qui l’empêche de terminer le Giro, en 2016, il demande à sa femme de ne pas regarder ses prochaines courses. Question d’orgueil vis-à-vis de celle, nutritionniste, qui a eu un impact considérable sur sa carrière. « Elle m’aide à être en forme, détaille-t-il pour CyclingTips. J’ai perdu dix kilos en deux ans (grâce à elle). » Pour devenir un grimpeur capable de monter sur le podium de la Vuelta aux côtés de Froome et Nibali.

Le reste, l’homme de bientôt 28 ans – il les fêtera dans trois jours – en parle peu. Il raconte volontiers comment il est venu au vélo, grâce à des amis de l’école qui l’ont invité à venir essayer. « C’était assez marrant, j’ai aimé ça, être sur le vélo, se battre contre d’autres gars. Les résultats sont venus rapidement, alors j’ai décidé de continuer. » Mais il s’attarde moins sur son départ vers Chypre, à l’hiver 2014, pour s’entraîner et enfin décrocher ce contrat dans l’élite du cyclisme mondial. Il reste discret, aussi, sur son amour pour les livres, et surtout sur sa foi : musulman non pratiquant, il porte un pendentif en forme de croissant de lune et se rend occasionnellement à la mosquée. Un personnage intriguant, mais prudent, presque méfiant au moment de se livrer. Qui préfère garder pour lui ses petits secrets. On ne perce pas le mystère Ilnur Zakarin aussi facilement.

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