Le Flamand a mal dormi. Il n’a, pour ainsi dire, quasi pas fermé l’œil de la nuit. Trop stressé. Trop nerveux. Il faut dire qu’il y pense depuis quelques semaines déjà, au Ronde…

Dès les prémices de la saison, Boonen, véritable divinité personnifiée dans le Nord de la Belgique, l’avait déjà contenté, voire étonné avec deux victoires sur le Tour du Qatar. La bonne nouvelle s’était vite répandue : « Tomeke est de retour ! » Largement relayée par la presse, l’annonce avait entraîné avec elle un engouement hors norme. Le Flamand s’apprêtait à vibrer, à s’enflammer, à pleurer à nouveau pour ce flahute dévorant les bergs successifs devant une foule en transe ! Le Grand Prix de l’E3 l’a désenchanté, une véritable enclume qui vint l’assommer ; Boonen distancé sur les pavés… Et puis quoi encore ? Contador qui gagne Parix-Roubaix ? Le Flamand est dépité car il sait que le « mini Ronde » ne ment que rarement ; en 2012, Bonnen le gagne avant de lever les bras à Oudenaarde et en 2013, c’est Cancellara qui fait de même. Cette année, 48 heures plus tard, à Gand-Wevelgem, il reprend goût à la vie. Sa star se teste et déclare qu’il avait les jambes pour gagner. La semaine sainte peut commencer.

En dépit de son sommeil écourté, il se lève tôt. Et pour cause, la VRT diffuse dès 7h un résumé de 10 éditions mythiques du Ronde. Dire que le Flamand est excité est un doux euphémisme. Il ne tient plus en place. 16 000 coureurs amateurs sont passés devant chez lui hier à l’occasion de la randonnée « Tour des Flandres Challenge », de quoi lui mettre l’eau à la bouche. Toute sa famille a été invitée chez lui, au sommet du Koppenberg, un endroit qui sera, sans nul doute, décisif dans quelques heures à peine.

10h30 : les coureurs ont pris le départ et le Flamand a déjà pris deux calmants. Tout le monde, hormis tante Lucie qui « n’aime pas le vélo », est réuni devant la toile de 6 mètres carrés retransmettant les premières bornes parcourues. Une tension peu commune règne dans le jardin. Tous connaissent les enjeux colossaux. Tous espèrent que Tom sera au rendez-vous et triomphera pour la quatrième fois. Tous craignent Cancellara, Sagan, les ennuis mécaniques, les chiens,… Bref, tout ce qui peut faire entrave à la voie royale de leur idole.

13h05 : ils sont dans le Vieux Quaremont. C’est magique. Boonen à l’air bien ! Un cornet de frites à la main, une bière dans l’autre, des bottes aux pieds, ils sont anxieux, tendus. Le Flamand crie lorsque Tom apparaît à l’image et tante Lucie, essayant de passer le temps comme elle peut, ramène ces acharnés de la Petite Reine à la raison : « Du calme ! Ce n’est que du sport ! » Elle n’y connait vraiment rien.

15h37 : ils sont là, devant ses yeux, dans les 25% du Koppenberg ! Le Flamand exulte, hurle, encourage le petit groupe qu’il aperçoit devant lui. 5 hommes à peine et IL est toujours là. Il n’y croit plus, il en est sûr : Tom va gagner.

16h21 : il a repris un calmant. Sa femme l’y a contraint, ce n’était plus vivable. Les coureurs franchissent les affreux 400 mètres du Paterberg noir de monde. Plus que 3 hommes et IL a l’air encore bien ! La famille bout, chante, crie et danse pour son unique champion : il va le faire !

16h38 : alors qu’ils passent sous la flamme rouge, tante Lucie passe devant le projecteur. Le Flamand ronge son frein pour ne pas l’insulter mais c’est sûr, dimanche prochain, il ne l’invite plus…

La suite et fin du récit dépendra évidemment du débouché de la course : tantôt, c’est la joie, l’euphorie, les larmes et la prolongation de la fête jusque tard dans la nuit ; tantôt, c’est la douche froide, le déboire, les larmes et l’arrêt immédiat de toute festivité.

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