Les Arvernes ont retrouvé des guerriers. Il aura donc fallu attendre le XXI siècle pour voir le peuple auvergnat se faire, de nouveau, une place de choix dans le peloton. Depuis l’ascension fulgurante de Romain Bardet, de nombreux coureurs de la région sont passés professionnels. Et ce n’est pas vraiment un hasard.

La succession enfin assurée

Déterminés, fougueux et jamais avares de combat, leurs armes tournent désormais plus vite et vont plus loin. Les Romains en seraient presque inquiets. Treize Auvergnats, soit le plus grand contingent de l’histoire de la région, font actuellement partie du peloton professionnel. Avec pas mal de talents : Florian Vachon, François Bidard, Rémi Cavagna et surtout Julian Alaphilippe s’ajoutent à Romain Bardet comme guerriers bleus formés à la sauce auvergnate.

Loin d’être un hasard, l’éclosion de talents dans cette région attribue à l’histoire un rôle majeur. Dans les années 1950 déjà, Raphaël Géminiani et Roger Walkowiak portaient haut l’étendard jaune et rouge. L’un ouvrier clermontois, l’autre pompiste montluçonnais, mais tous les deux avant tout hommes du peuple. « Roger était quelqu’un de modeste. Il a ouvert une station essence après sa carrière. Tout le monde le connaissait et l’aimait », résume Claude Torret, l’actuel dirigeant de l’entente cycliste de Montluçon, le club où « Walko » a forgé sa résistance d’acier et sa victoire sur le Tour de France 1956.

Aujourd’hui, cette modeste structure de l’Allier peut aussi se targuer d’avoir formé une flèche : Julian Alaphilippe. Arrivé au club à huit ans, il y restera trois années, suffisant pour que les dirigeants s’aperçoivent de ses qualités hors-normes et de son caractère volcanique. « Je me rappelle d’une course ou Julian n’avait pas pu disputer la gagne alors qu’il était le plus fort, raconte Claude Torret. Il a balancé son vélo à l’arrivée fou de rage et s’est mis à pleurer à terre. Il était en benjamin. C’est à ce moment là que j’ai su qu’il irait loin. » Parce que la gnaque caractérise le garçon depuis toujours, lui qui vient d’une famille modeste et avait obtenu son premier vélo chez Emmaüs.

Faire évoluer les méthodes

L’esprit téméraire auverpin avait donc déjà frappé « Alaf ». Comme à l’époque le Cantalou Antonin Magne ou les frères Pélissier, quoique Bougnats, la recrudescence de talents régionaux trouve dans les mœurs populaires et les souches paysannes une explication supplémentaire. Car si l’Auvergne a toujours été une terre de vélo, elle n’a pas toujours été une terre de formation. « On a changé nos méthodes. Maintenant on propose deux entrainements par semaine aux jeunes et surtout, on tente de les recruter plus tôt, vers 6-7 ans, détaille Claude Torret, père de Guillaume, ancien espoir et ami de Romain Bardet. Avec la fusion Auvergne-Rhône-Alpes, on est de toute façon obligés de pousser les enfants plus tôt parce qu’une course cadet là-bas, c’est 80 km, contre 50 chez nous. Ça tire le niveau vers le haut. »

Daniel Ramain, responsable de l’école de vélo du Vélo Club Brivadois, dans laquelle l’Altiligérien Bardet a fait ses débuts, avance un autre argument : « C’est propre à chaque club mais nous, on a fait le choix de recruter un entraîneur avec un brevet d’état qui va encadrer les jeunes de 13-15 ans et leur fournir les bonnes méthodes. » Loin d’être le plus talentueux, Romain Bardet a d’ailleurs réussi à transpercer l’armure du peloton grâce à ce travail acharné et assidu à l’entrainement : « Chez les jeunes, Romain n’était pas plus doué qu’un autre, poursuit son ancien formateur. Mais il savait déjà ce qu’il voulait et appliquait son programme à la lettre. »

Le sérieux, une vertu pas vraiment spécifique à la région. Pourtant, à un niveau égal chez les cadets, Guillaume Torret, lui, n’a jamais percé. « A l’age charnière de 18 ans, il y a plusieurs problèmes qui se posent aux garçons, les études et les filles. Souvent, ils favorisent la dernière option et le vélo passe après. Ça a été le cas de mon fils », s’amuse son père qui voit d’un très bon œil la présence de ces champions autochtones dans le peloton actuel.

Profiter du terrain

L’autre facteur clef de la réussite auvergnate est sûrement à chercher dans sa topographie. La région est dotée des ingrédients nécessaires à la bataille cycliste. Montagnes, quoique moyennes, routes parfois plates et venteuses, parcours casse-pattes, les profils pluriels et la préservation relative du paysage d’une urbanisation brutale offrent une diversité presque unique. « On a un très beau terrain de jeu pour tous les jeunes qui veulent pratiquer le vélo, note Daniel Ramain. C’est sans doute une force pour leur progression. » Ce n’est pas pour rien que le dernier Tour de France est passé, avec succès, sur les exigeantes routes du massif central.

Tous ces petits détails accumulés permettent aux Arvernes de renverser petit à petit le cours de la guerre. Jamais autant de Bougnats n’avaient atteint le haut niveau professionnel cycliste et ce, malgré les aides financières qui manquent. Avec la fusion des régions, le fossé avec l’un des comités le plus prolifiques de France (Rhône-Alpes) s’apparente au siège d’Alésia. « On a presque dix fois moins de budget et d’aides qu’un club de là-bas. Résultat, on ne peut pas forcément amener nos jeunes sur les courses », regrette le dirigeant du Vélo Sport Brivadois, conscient malgré tout que l’éclosion de Romain Bardet lui a permis d’enrôler de nouvelles pousses.

« On a en ce moment un jeune très prometteur, comme Julian à l’époque : Raphaël Benoit. Il faut surveiller sa formation et sa progression mais il peut aller loin », prédit de son côté Claude Torret, certain que la formation auvergnate lèvera à l’avenir d’autres guerriers. La région a repris les armes et rêve désormais d’étendard jaune. Vercingétorix doit apprécier.

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