Dimanche, Fabio Aru a attaqué le maillot jaune, Chris Froome, alors qu’il était victime d’un incident mécanique. Sans conséquence. Il y a sept ans, Alberto Contador avait fait la même chose à Andy Schleck. C’était sur le Port de Balès.

Duel au sommet

La lecture brute des palmarès peut occulter bien des histoires. Le coup de gomme sur le nom d’Alberto Contador a changé bien des choses. Quelqu’un qui n’est pas vraiment au fait de la légende du cyclisme peut-il se douter de la dramaturgie jouée pendant le Tour 2010 ? A-t-il les moyens de saisir l’immensité du duel qui s’est joué sous les yeux des spectateurs et téléspectateurs ? Andy Schleck reste dans les mémoires et demeure le vainqueur de cette édition de la Grande Boucle. Mais au-delà d’une sombre histoire carnée assortie de sa petite pincée de clembutérol, l’Histoire retiendra qu’Alberto Contador, pourtant de jaune vêtu sur les Champs-Elysées au soir du 25 juillet, avait gagné sur le terrain ce Tour de France. Mais la science et son exactitude ont surpassé la polémique et ses doutes. « El Pistolero » fut déchu. Les passionnés n’oublieront toutefois pas de sitôt ce duel homérique, dans la lignée des affrontements Coppi-Bartali, Anquetil-Poulidor, Merckx-Ocana ou encore Fignon-LeMond. Ce Schleck-Contador version 2010 reste à ce jour le dernier grand duel de la Grande Boucle. Avec en invraisemblable point d’orgue : le redoutable Port de Balès.

Le massif pyrénéen est la scène de la troisième semaine de course. Jusque-là, les choses se passent plutôt confortablement pour les deux protagonistes. Après une première gamelle sans conséquence en Belgique, Andy Schleck s’impose à Morzine pour la première étape alpestre, sans toutefois créer de gros écarts. L’étape de Saint-Jean-de-Maurienne ne bouleverse pas le général, seul Cadel Evans, qui traîne une fracture du coude depuis deux jours, s’effondre. Le relais Alpes-Pyrénées voit Contador titiller Schleck dans la montée de la Croix Neuve à Mende. Du côté d’Ax-3-Domaines, rien à signaler, les favoris se neutralisent. Si bien qu’au matin de cette quinzième étape entre Pamiers et Bagnères-de-Luchon, le Luxembourgeois devance l’Espagnol de seulement 31 secondes. L’étape du jour est copieuse, avec le Portet d’Aspet, le col des Ares et le Port de Balès. C’est le deuxième passage dans ce qui est déjà un haut lieu des Pyrénées. Un col exigeant, avec de forts pourcentages, dans un paysage de rêve. La foule est dense. Le décor est planté.

Pas de chaîne, pas de pitié

Devant, les échappés se livrent bataille. C’est Thomas Voeckler qui sort ainsi victorieux d’une étape de prestige, montrant ici ses capacités de coureur tout terrain. Mais sans lui faire injure, la légende du Tour s’écrit derrière. A moins de quatre kilomètres du sommet du Port de Balès, le groupe maillot jaune est encore conséquent. Schleck, porté par une certaine idée du panache, place une banderille, suivi comme son ombre par Alexandre Vinokourov. Contador est plus loin. Le Luxembourgeois cherche à gagner du temps sur l’Espagnol, meilleur que lui dans l’exercice du contre la montre qui attend les coureurs en fin de semaine, et il est en train de réussir son coup. Mais patatras, là, c’est le cafouillage le plus total. Andy arrête de pédaler. Les secondes sont une éternité, il doit s’arrêter et remettre sa chaîne en place. Pendant ce temps-là, Contador est passé comme un missile. Sauve qui peut pour le Luxembourgeois, qui se remet en marche pour rattraper son rival. Aidé par Samuel Sanchez et Denis Menchov, Contador accentue son avance dans la descente. De 17 secondes au sommet, le débours affiche 39 secondes à l’arrivée pour Schleck. Le leader de la Saxo Bank a perdu sa tunique jaune pour huit secondes…

La polémique explose alors. Comment Alberto a-t-il pu oser attaquer un maillot jaune arrêté pour ennui mécanique ? Les avis divergent, certains affirmant qu’il a forcément vu Schleck empêtré avec sa bicyclette, d’autres soutenant que son attaque a été amorcée avant l’instant T, celui de l’incident. Le Luxembourgeois concède à demi-mot avoir fait une grossière erreur en voulant changer de plateau en danseuse, oubliant les règles de mécanique de base enseignées dès le plus jeune âge. Tout le monde tente d’éteindre l’incendie, la course étant loin d’être terminée. Sauf qu’en réalité, c’est là que s’est joué le Tour. Que Contador a pris un maillot jaune qu’il ne lâcherait plus… avant de devoir rendre sa victoire sur tapis vert.

Alors depuis ce jour, Andy Schleck a gardé en travers l’attitude de son rival. Dans un reportage de Gilles Simon pour L’Équipe il y a quelques jours, il laissait encore transparaître son amertume devant les images, avec ironie : « Il ne m’a pas vu…» Au même moment, son bébé a grogné : « Ben oui. Toi non plus, tu n’es pas content, hein ?» A l’époque, le Luxembourgeois ne veut pas nourrir la polémique et donne rendez-vous deux jours plus tard sur les contreforts du Tourmalet pour ce qui aurait dû être l’apothéose du Tour. Hélas, malgré le cadre légendaire de cette arrivée au sommet, la montagne accoucha d’une souris. Les deux coureurs, bien qu’au-dessus du lot, signant une sorte de « pacte de non agression », terminant roue dans roue au pied de la statue d’Octave Lapize. L’étape à Andy, le général pour Alberto. Dans une monotonie bien dommageable. Bien loin de la grande excitation du Port de Balès quelques jours plus tôt.

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