A la croisée des chemins entre les années 1970 et 1980, les Néerlandais s’affirment en nombre dans le peloton professionnel. Mais au milieu des Zoetemelk, Knetemann, Kuiper et autres Lubberding, il y en a un qui se fait particulièrement remarquer : avec son style bien à lui et sa tête d’intello, Jan Raas remportera cinq Amstel, dont quatre consécutivement. De quoi renommer l’épreuve hollandaise l’Amstel Gold Raas.

Un homme et une course à part

Lorsque Raas passe professionnel au sein de l’équipe Ti-Raleigh de Peter Post en 1975, l’Amstel Gold Race est une épreuve encore très récente. Créée en 1966, elle est bien loin du prestige de la Flèche wallonne et de Liège-Bastogne-Liège. La classique du Limbourg se dispute même près d’un mois avant les deux autres épreuves ; le triptyque ardennais n’existe pas encore. Malgré tout, l’Amstel demeure l’une des seules classiques d’envergure du pays. En bon patriote qu’il est, Raas va alors en faire chaque année l’une de ses priorités, et offrir à la course néerlandaise une certaine légitimité. Et c’est en 1976, installé au sein de l’équipe néerlandaise, mais encore loin d’être un leader absolu, qu’il découvre l’Amstel. A 23 ans, il s’y rend dans un rôle de lieutenant pour Hennie Kuiper. Mais au moment de jouer les places d’honneur, il est le plus malin. Lorsqu’il s’envole, il est déjà trop tard pour rattraper un Freddy Maertens aérien, qui s’imposera avec plus de quatre minutes d’avance. Mais Raas termine deuxième, en solitaire. Le début de l’histoire.

D’une histoire un peu spéciale. Parce que Raas se distingue clairement de ses compatriotes. Si Zoetemelk et Kuiper tentent chaque année de décrocher le graal sur le Tour de France, Raas ne possède pas les qualités de grimpeur pour suivre. Et si Knetemann a fait des chronos sa spécialité, Raas, là non plus, ne peut pas rivaliser. Mais le garçon à lunettes, parfois moqué mais beaucoup plus souvent respecté, était bien le plus fort des Hollandais sur les classiques. Vainqueur de Milan-Sanremo, du Tour des Flandres et de Paris-Roubaix, ces trois monuments étaient siens. Rares étaient les éditions où Raas passait au travers. Et puis à côté de ça, il y avait l’Amstel. Sa course, chez lui. Enfin, elle l’est devenue, car en réalité, Raas est né à Heinkenszand, dans la région de Zélande. A l’opposé du Limbourg cher à l’Amstel. Qu’importe, les classiques néerlandaises n’étant pas légion, Raas n’avait pas vraiment l’embarras du choix. Tout ce qui comptait, c’est qu’il avait décidé de briller, chaque printemps.

Cinq sur huit

L’épreuve se disputait tantôt fin mars, tantôt début avril, la date changeant régulièrement. Mais là n’était de toute façon pas le plus important. Seul le résultat comptait, et de ce point de vue, Raas était une machine de guerre : huit participations, cinq victoires. La première intervint en 1977, pour sa deuxième participation seulement. Compte tenu de sa prestation l’année précédente, il est annoncé comme l’un des favoris. D’autant plus qu’entre temps, désireux d’un peu plus de considération, il a quitté l’armada Ti-Raleigh pour Frisol. Une équipe néerlandaise, encore, mais où il est le seul leader. A l’époque où l’Amstel n’est pas encore une course de côte, Raas n’en demeure pas moins marqué à la culotte, surtout par ses deux anciens coéquipiers : Kuiper et Knetemann. Les trois Hollandais abordent la difficulté finale roue dans roue, et celui qui est alors champion des Pays-Bas doit résister aux attaques de ses compatriotes. Finalement, il parviendra à s’imposer au sprint. Une victoire annonciatrice.

L’année suivante, désormais reconnu de tous après avoir remporté Milan-Sanremo, Jan Raas fait son retour chez Ti-Raleigh. Il le sait, c’est là-bas qu’il pourra avoir les meilleurs équipiers pour continuer à gagner. Il ne s’était pas trompé. En effet dès 1978, ses ex-adversaires deviennent ses lieutenants, et il s’impose presque facilement au sommet du Cauberg. Bis repetita en 1979, avec cette fois Lubberding comme équipier, qui s’offrira même le luxe de prendre la deuxième place, loin derrière un Raas qui réalise le triplé. C’est bel et bien sa course. L’édition suivante sera un peu plus compliquée pour le leader hollandais fraîchement sacré champion du monde, qui se retrouve esseulé dans le final. Malgré tout, il dispose de Kelly, Hinault et Kuiper, désormais chez Peugeot, au sprint. Roublard en 1982, il décrochera un cinquième et ultime sacre sur la course de sa vie. Record inégalé bien sûr, et sans doute inégalable. Il n’y a qu’en 1981 (5e) et en 1983 (3e) qu’il est vaincu, une fois par Hinault, l’autre par Anderson.

La suite, malheureusement, est plus tragique pour ce champion original. Comme Knetemann ou Fignon, impossible d’oublier sa gueule d’ange, lunettes posées sur le nez. Mais impossible aussi d’oublier cette fin en eau de boudin, regrettée et regrettable. Une grave chute dans Milan-Sanremo en 1984 l’écarte des routes pendant de longues semaines, avant un dernier coup d’éclat, sur la Grande Boucle de la même année. Mais Raas n’est déjà plus le même. Il a perdu son punch, et son envie. Lorsque Ti-Raleigh s’arrête en fin de saison 1983, il signe avec Kwantum, ce qui lui permet de rester au sein d’une structure néerlandaise, et de courir aux côtés de Kuiper et Zoetemelk. Des retrouvailles écourtées par cet accident, et qui finalement, ne permettront jamais de sublimer les trois hommes. Surtout pas Raas. Et même si c’est Hanegraaf, l’un de ses coéquipiers, qui remporte l’Amstel en 1984, cela ne suffira pas à le consoler. Raas doit s’en aller, et il prend sa retraite en mai 1985. Le sentiment du devoir accompli, sans doute. Car il a fait de l’Amstel ce qu’elle est aujourd’hui. Une course qui compte, vraiment.

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