Inauguré en 2001, le Centre Mondial du Cyclisme, situé à Aigle ne cesse d’ouvrir ses portes à des jeunes venus du monde entier. Il y a quelques semaines, au soir de la sixième étape du Tour de France, Daniel Teklehaimanot est le premier Africain à porter le maillot à pois. Originaire de l’Érythrée, pays aux multiples tensions et au souvenir du colonialisme italien, le grimpeur de l’équipe MTN-Qhubeka met de nouveau à l’honneur le centre de formation qui l’a fait grandir, le CMC.

L’Afrique, mais aussi les autres

Le CMC a une certaine connotation africaine, car c’est surtout sur ce continent trop souvent oublié que le cyclisme en est encore à ses balbutiements, et qu’il a besoin de soutien. Christopher Froome, que l’on a pris l’habitude de surnommer le « Kényan blanc », est le symbole du développement cycliste dans les pays avec peu de connaissances de ce sport. Celui qui s’est fait naturaliser anglais n’est pas arrivé à un tel niveau par hasard : formé au Centre Mondial du Cyclisme, il a su apprendre à grandir aux côtés des entraîneurs. Selon Michel Thèze, l’homme qui l’a fait venir en Europe, « Chris était déjà un gros moteur » dans sa jeunesse. Pourtant, au début de sa carrière, peu auraient misé sur lui. Il lui a fallu franchir les étapes une par une pour devenir le coureur qu’il est aujourd’hui, double vainqueur du Tour de France. Mais il a fait partie des précurseurs, et depuis 2002, 62 coureurs africains sont sortis du CMC avec un contrat professionnel. A Aigle, c’est donc tout un travail de repérage qui est effectué, avec pour principal objectif de ne pas passer à côté des talents. Même si certains jeunes arrivent donc avec des certitudes sur leurs caractéristiques, tout est réétudié. Jean-Jacques Henry, à la tête de l’institution, ne manque par exemple jamais de rappeler qu’Eduardo Sepulveda a débarqué au CMC persuadé qu’il ne serait jamais un grimpeur. C’est pourtant ce qu’il est devenu.

Le coureur argentin, passé au CMC en 2012, marque au passage une diversification des origines du groupe. Si Natnael Berhane, Merhawi Kudus ou Tsgabu Grmay prouvent que les Africains conservent une place importante, les Sud-Américains arrivent en masse, à l’image de Jarlinson Pantano il y a quelques années, ou de José Luis Rodriguez, dit “El Puma”, qui vient de se faire un nom en Europe après avoir porté le maillot jaune du Tour de l’Avenir. Jean-Jacques Henry le décrit d’ailleurs comme un coureur « hargneux, bourré de classe et qui ne doute jamais de lui », un tempérament qui fait la marque des plus grands. La promotion 2015 est ainsi composée de onze coureurs en provenance de dix pays différents, de l’Afrique à l’Amérique du Sud en passant par l’Amérique centrale et les Balkans. Une diversité culturelle qui permet au cyclisme d’élargir ses frontières et de se développer dans des contrées qui connaissaient à peine son existence.

Un manque de culture cycliste qui s’estompe

Passé d’un petit groupe à un peloton de près de 200 coureurs roulant à vive allure n’est pas chose aisée. Mais c’est un passage obligé, que même Froome a traversé dans la difficulté, chutant régulièrement lors de ses premières courses en Europe. “Il n’avait aucune notion tactique mais compensait par son physique », raconte Michel Thèze. Une similitude que l’on retrouve chez José Luis Rodriguez, qui vient tout juste d’arriver sur le Vieux continent. Encore trop tendre, il doit apprendre à courir avec les autres. Le CMC est là pour ça, en proposant des calendriers très complets à ses ouailles. En quelques mois, les jeunes peuvent compter jusqu’à 50 jours de course, chose impensable en Afrique ou en Amérique du Sud, où les épreuves amateurs sont bien trop rares. « Mon entraîneur m’a appris l’importance de se considérer comme un professionnel et chaque séance d’entraînement était très pointue » explique le Lituanien Ramunas Navardauskas, lui aussi passé par Aigle. En manque de repères dans des pays qui ont une parfaite connaissance du cyclisme, ces jeunes doivent tout apprendre. « Les entraîneurs du CMC m’ont appris à me préparer pour les courses et à ajuster mon entraînement, mais aussi à récupérer après les courses, ce qui est crucial », confirme Natnael Berhane.

A force, les choses commencent donc à bouger, y compris là où on ne s’y attend pas. L’Erythrée, forte de son héritage laissé par la colonisation italienne, offre un potentiel énorme que Jean-Jacques Henry ne demande qu’à exploiter. « Ils ont des capacités physiques hors du commun avec une possibilité de récupération incroyable, similaire à ce que l’on trouve en athlétisme dans les marathons avec le Kenya et l’Éthiopie. Le cyclisme demande les mêmes qualités que la course de fond », explique-t-il. Avec comme nouveau porte-drapeau un Daniel Teklehaimanot qui brille sur les épreuves World Tour par sa combativité, le pays a donc toutes les raisons de faire du vélo un de ses sports nationaux. Dans les années à venir, l’Erythrée pourrait donc se hisser au niveau de certaines nations européennes, et devenir un vivier encore plus important que l’est l’Afrique du Sud, la référence actuelle du continent qui possède des infrastructures bien plus développées. Pour le Centre Mondial du Cyclisme, ce serait alors le signe d’une incroyable réussite : plus que quelques champions, à l’image de Froome, ce serait tout un pays qui aurait été converti au cyclisme.

Thomas Fiolet

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