L’histoire est improbable. Il fallait au moins ça pour que la première équipe israélienne de tous les temps se retrouve en Continental Pro, à animer la Ruta del Sol. Avec comme ambassadeur Peter Sagan et en prime, au soir de la première étape andalouse, un maillot distinctif.

Saxo Bank, San Luis et Sagan

Vivre ses rêves à travers les autres. C’est ce dont a eu envie Ran Margaliot, aujourd’hui manager général de l’Israel Cycling Academy. Pendant longtemps, cet Israélien a nourri l’espoir de devenir cycliste professionnel. « Lorsque j’étais gamin, je voulais devenir le premier coureur israélien à remporter le Tour de France », confiait-il à L’Equipe en 2015. Il n’aura jamais ce destin. En guise de lot de consolation, il passe professionnel le temps d’une saison, en 2012 chez Saxo Bank-Tinkoff Bank. Il y côtoie Alberto Contador, leader de l’époque. Puis arrête sa carrière, à 26 ans. « Il a fallu que je me rende à l’évidence et que j’admette que je n’étais pas assez fort pour rester chez les pros. » Il est alors habité par un unique but : permettre à d’autres de réussir là où il a échoué. Pour ça, il veut monter une académie et amener les jeunes de Jérusalem au cyclisme.

Margaliot fait alors la rencontre de Ron Baron, milliardaire américain aux racines juives. L’homme d’affaire met un million de dollars sur la table et le projet prend forme. La Cycling Academy (son ancien nom, jusqu’à cette année) voit le jour en Continental, la troisième division mondiale. Elle fait ses premiers pas au Tour de San Luis, début 2015, avec une équipe hétéroclite. Les Israéliens sont au cœur du projet, bien sûr. Mais les Polonais et les Slovaques sont aussi fortement représentés. Et Peter Sagan devient l’ambassadeur de l’équipe. « J’ai rejoint ce projet avec enthousiasme, expliquait l’actuel double champion du monde il y a de ça plus de deux ans. Avec un but : donner une réelle chance à ces jeunes qui pourraient éventuellement passer professionnels un jour, comme ça m’est arrivé. » Ron Baron, lui, veut se servir de Sagan comme d’une source de motivation. Pour montrer à ses protégés que venir d’un petit pays, qui de surcroit ne s’intéresse pas particulièrement au cyclisme, n’est pas rédhibitoire.

Azerbaïdjan, Craven et les valeurs de Margaliot

La première saison a valeur de test. Tout se fait dans des conditions parfois ubuesques. Ron Baron recrute qui il peut. Yoav Bear, espoir israélien qui avait fait une croix sur le cyclisme pour se consacrer à ses études, est de ceux-là. « Il a accepté de nous rejoindre, confiait à l’époque le journaliste et attaché de presse Tsadok Yecheskeli à Israel 21C. Mais il prenait ses livres avec lui dès que l’on voyageait. » Pas de quoi l’empêcher d’être l’un des meilleurs éléments de l’équipe. Au Tour du Colorado 2015, sur les huit coureurs de la Cycling Academy, il est le seul à terminer l’épreuve. A la 101e et dernière place. Mais c’est déjà un exploit. Avec seulement douze coureurs, le groupe réussit même à décrocher sa première victoire au Tour d’Azerbaïdjan. Baron et Margaliot se rendent compte qu’ils vont dans le bon sens. L’équipe s’embarque dans une deuxième saison, avec dans ses rangs deux anciens pensionnaires du World Tour : Dan Craven et Guillaume Boivin.

Les trois bouquets de la première saison se transforment alors en onze victoires, dont les titres nationaux sur route et contre-la-montre d’Israël. La Cycling Academy prend de l’ampleur. Elle découvre des courses comme le Tour du Finistère ou le Tro-Bro-Leon, puis va jusqu’à mettre un pied dans le World Tour en fin de saison, en disputant les classiques canadiennes. Sylvan Adams, membre du board de l’équipe, voit alors les choses en grand. « Nous espérons disputer des classiques en 2017 et même un premier grand tour en 2018 », concède-t-il à Velonews. L’ambition paraît alors sans limite. Mais tout va devenir possible avec la montée en Continental Pro. La formation israélienne s’offre le droit de rêver à des invitations sur les plus grandes épreuves du calendrier. Avec des recrues comme Zakkari Dempster ou Dennis van Winden, mais seulement seize coureurs dans son effectif.

Trophée Laigueglia, Tour de Valence, Ruta del Sol, l’Israel Cycling Academy est donc partout en ce début de saison 2017. Mais elle vise toujours plus haut. Elle vient de décrocher une invitation pour Gand-Wevelgem et compte bien se montrer sur d’autres grandes classiques printanières. Mais si l’équipe évolue, la philosophie, elle, perdure. « Mes valeurs sont dans le partage, assurait Ran Margaliot en 2015. Jamais deux coureurs d’une même nationalité ne feront chambre ensemble. Même s’ils ne se comprennent pas, ils devront apprendre à se connaître. » Le projet se veut autant social que sportif. Et ça fonctionne. Aujourd’hui, Daniel Turek a le maillot blanc de la Ruta del Sol. Tout un symbole puisque c’est lui qui avait gagné en Azerbaïdjan, il y a bientôt deux ans, pour rapporter le premier bouquet à l’Academy. « Nous rendons les gens fiers, se félicitait Tsadok Yecheskeli à l’époque. Notre équipe, ce n’est pas simplement un projet cycliste. Elle porte des messages que nous commençons seulement à saisir. » Il avait vu juste. Israël est en train de se faire une – petite – place dans le paysage cycliste. Une réussite porteuse d’espoir.

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