Entre le contre-la-montre et l’épreuve en ligne des championnats de France à Saint-Omer, Sylvain Chavanel à accepté de répondre aux questions de la Chronique du Vélo. A quelques jours de fêter ses 38 ans la veille du départ de son 17e Tour de France, le Français justifie sa volonté de poursuivre sa carrière aussi longtemps que possible (il a déjà prolongé jusqu’en 2018). Il livre également son point de vue sur l’évolution de cyclisme professionnel, entre ses débuts en 2000 et maintenant.

Cette année encore, vous allez viser les victoires d’étapes sur le Tour de France. Pensez-vous avoir encore les moyens de jouer la gagne ?

Il ne faut pas se cacher que c’est de plus en plus dur, mais si je suis encore actif dans le milieu, c’est que j’ai encore un niveau intéressant. L’année dernière, j’ai réussi sur des étapes pas forcément taillées pour moi. J’avais pris la cinquième place au Ventoux. Des baroudeurs comme moi, on essaye toujours de trouver une solution pour sortir du peloton et jouer la victoire d’étape. Après, c’est les jambes qui parlent. Tu essayes de rattraper le physique par l’expérience et jouer la gagne, mais ça ne marche pas à tous les coups.

Vous allez égaler le record de participations sur un Tour de France, c’était un objectif que vous vous étiez fixé ?

Ce n’était pas un objectif, ça s’est fait naturellement. On m’en parle de plus en plus, mais je ne suis pas obnubilé par le record à tout prix. Je veux juste continuer à être au départ du Tour de France pour vivre le plus longtemps de ma passion. Le Tour c’est la vitrine, c’est regardé dans énormément de pays, c’est la course de l’année au niveau médiatique. Quand tu as goûté à un Tour de France, tu as envie de le faire tous les ans. Mais ce n’est pas un cadeau si tu n’es pas bien. C’est un coup à galérer les trois semaines.

Et ça vous tenterait de faire comme Thomas Voeckler, d’arrêter votre carrière au terme d’un Tour de France ?

En plus du Tour de France, les classiques et notamment Paris-Roubaix sont un passage important de la saison de Sylvain Chavanel – Photo ASO

Non, pas forcément. C’est son choix, ma fin de carrière sera sûrement différente. Je n’essaie pas de marquer les esprits, je fais du vélo pour moi et ma famille en priorité. Ça sera mon choix le jour où j’ai envie d’arrêter. Peu importe la manière, ça ne regardera que moi. Je déciderai le moment venu. Je ne peux pas me projeter non plus. Précédemment dans ma carrière, je me disais que si j’arrivais jusqu’à 30 ans, je m’arrêterais. Une fois que j’ai eu mes 30 ans je me disais qu’à 35 ans, j’arrêterais ma carrière… Après je touche du bois. Je n’ai pas eu de gros pépins physiques pendant ma carrière, ce qui me permet de tenir aussi physiquement. Et une carrière ça se fait aussi sur le mental. Le haut niveau passe beaucoup par le mental. Donc si je suis encore là aujourd’hui, c’est que j’ai vraiment un très gros mental, en plus d’un physique intéressant pour m’exprimer.

Comment on fait à bientôt trente-huit ans pour rester compétitif ?

Tu t’accordes un peu plus de repos que certaines années où ton corps acceptait plus de charges de travail. La récupération et les enchaînements sont de plus en plus difficiles à gérer, mais dans l’ensemble, mon moteur me permet de faire des choses sympas.

Et vous sentez-vous toujours capable d’enchaîner ?

Au niveau de mes résultats, je ne suis pas un gros gagneur, mais sur toutes les épreuves auxquelles je participe, je suis toujours là. Je n’ai jamais été un mec qui gagnait dix courses à l’année. Au niveau international, je fais encore de belles performances. Je suis classé, régulier dans mes résultats et fidèle à moi-même. Le plus dur pour un athlète de haut niveau, ce n’est pas de faire des résultats mais de confirmer l’année suivante, puis celle d’après, etc. J’ai réussi à le faire sur l’ensemble de ma carrière et ça me procure une certaine fierté. Être performant c’est bien, mais être constant c’est encore mieux. J’ai toujours fait du vélo plaisir, ça n’a jamais été de gros sacrifices. J’ai toujours mis ma famille en priorité car ça reste une passion avant tout. Ça m’a permis d’allier les deux : construire une famille et vivre de ma passion. J’ai réussi à faire de belles choses avec ma classe naturelle et ça j’en suis fier.

Est-ce que vous arrivez à prendre autant de risques qu’avant ?

« J’ai réussi à faire de belles choses avec ma classe naturelle et ça j’en suis fier. »

Sylvain Chavanel

J’ai connu le vélo où on ne portait pas le casque. Aujourd’hui, je ne pourrais pas m’en passer. C’est un facteur négatif car plus on vieillit, moins on prend de risques. Il y a des points clés dans une course où il faut frotter et le placement est primordial. Mais c’est de plus en plus dur de se placer au bon moment car je prends conscience du danger. Je laisse couler l’orage et s’il y a trop de risques, je préfère être derrière. Il faut l’accepter. J’arrive encore à frotter, mais je suis moins foufou. Dans les années 2000, j’étais un des meilleurs descendeurs, aujourd’hui dès que la route est trempée, je descends moins vite.

Par rapport à vos débuts justement, qu’est ce qui a la plus changé dans le cyclisme ?

L’homogénéité des équipes. Aujourd’hui, on a vraiment des collectifs où il y a un coureur protégé et tous les équipiers autour. Le niveau est aussi plus homogène. Les écarts sont moins importants. Dans une bosse, ça a beau rouler au taquet, il n’y a pas un coureur qui pète. Aujourd’hui, on a cette image derrière le poste de télévision où on nous dit que ça paraît facile, mais en fait, ça roule très très vite.

Est-ce que vous vous sentez en décalage avec les coureurs dans le peloton qui ont dix ou quinze ans de moins que vous ?

A bientôt 38 ans, Sylvain Chavanel a désormais un rôle de conseiller auprès de la nouvelle génération, celle d’Arnaud Démare – Photo ASO

Je suis un des derniers survivants de ma génération mais ça fait partie du sport. Le mélange de trois générations, c’est sympa. Quand je regarde les engagés sur des courses, je vois des athlètes nés en 1993, c’est l’année où j’ai commencé le vélo. Donc ça fait drôle. Après je suis quelqu’un qui s’adapte facilement. La seule différence, c’est l’évolution des techniques d’entraînement. Avec Strava par exemple, on peut avoir des références dans des montées et les jeunes générations sont obnubilées par les meilleurs temps lors des entraînements. Moi, je m’en fiche complètement, je fais du vélo pour moi. Je n’ai pas ce côté sado-maso de vouloir battre untel à l’entraînement.

L’émergence des données et des statistiques dans le vélo ne vous intéresse pas ?

Ce sont des points de repères. J’ai réussi à m’adapter à ces évolutions car il ne faut pas être fermé non plus. Mais je ne veux pas perdre la notion de jouer et je ne souhaite pas être pris pour un robot.

Pensez-vous que la génération actuelle à plus de potentiel que la votre ?

On ne peut pas comparer. Quand j’entends parler des générations Merckx, Jalabert ou celle d’aujourd’hui, on ne peut pas les comparer. Le vélo se modernise, s’internationalise, il faut prendre les choses comme elles sont. On ne peut pas se permettre de dire qu’untel a fait autant ou moins de victoires qu’Eddy Merckx. Le vélo évolue, c’est impossible de le faire.

En quoi sont-elles différentes alors ?

« Ceux qui font les plus gros sacrifices sur le Tour, ils pètent à moitié un câble après. Je n’ai pas de nom à citer, mais ils sont pas mal. »

Sylvain Chavanel

La nouvelle génération, ce sont de jeunes athlètes qu’on pousse vers le haut niveau très très jeune car les équipes amateurs sont déjà des mini structures pros. Je mets un point d’interrogation quant à savoir s’ils seront capables de faire des carrières longues ou s’ils ne sont que de passage. Physiquement on peut pousser le corps assez loin, mais moralement il faut que ça suive derrière. On reste des humains. Ceux qui font les plus gros sacrifices sur le Tour, ils pètent à moitié un câble après. Je n’ai pas de nom à citer, mais ils sont pas mal. On parle beaucoup du physique, mais l’aspect mental ne doit pas être négligé.

Votre génération était plus forte mentalement ?

Aujourd’hui, on s’amuse moins sur un vélo qu’il y a quelques années. C’est tellement professionnel et structuré que tu n’as plus le droit à l’erreur. Tu dois faire attention à tout, sans mettre un pied de travers. Les sportifs en général s’amusent moins qu’à une certaine période. Je ne le regrette pas pour autant, c’est aussi très intéressant. Aujourd’hui sur un contre-la-montre, ça me fait penser à de la Formule 1. Sur un chrono de 30, 40, 50 bornes, cela peut se jouer à dix secondes, c’est rien du tout. Ça se joue sur des petits détails et c’est excitant.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.