On savait que ça finirait par arriver. Jérôme Pineau, 35 ans, a annoncé sur le Tour que cette saison était sa dernière. Pour la première fois de sa carrière, il était d’ailleurs venu en spectateur sur la Grande Boucle, non-sélectionné par l’équipe IAM. Le signe que 2015 marquait le temps des au revoir pour le Haut-Normand. Fer de lance du cyclisme tricolore des années 2000, Pineau n’a pas eu la carrière que certains pouvaient lui prédire il y a presque 15 ans. Mais il est fier de son parcours, ne regrette pas grand chose et pense déjà à la suite, entre journalisme sportif et management. Car même s’il raccrochera le vélo à la fin de la saison, il compte bien rester actif. Entretien grand format.

Il y a environ un mois, vous avez annoncé votre retraite pour la fin de saison. Comment ça se passe depuis, vous sentez-vous libéré d’un poids ?

Disons que ce n’est pas une décision facile à prendre quand on a fait ce qu’on aime pendant près de quinze ans. Mais la décision était mûrement réfléchie, ça fait un moment que j’y pensais. Et c’est surtout le fait de la prendre qui est difficile. L’annonce, c’est différent.

Justement, quand avez-vous pris la décision d’arrêter ?

En début de saison je voulais voir où j’en étais, voir si j’avais la force de faire encore plusieurs années. Mais j’ai été sélectionné par l’équipe pour le Tour d’Italie, et déjà là j’ai eu du mal à me préparer, j’ai eu quelques soucis de santé, et je suis parti à reculons sur le Giro. Donc je me suis dit qu’il fallait prendre une décision. Je n’arrivais plus à faire les sacrifices nécessaires, à laisser seuls mes enfants et ma femme. Et puis je ne me faisais plus plaisir sur le vélo, c’est ça aussi qui a motivé la décision.

Désormais, quel est votre état d’esprit pour la fin de saison ?

J’ai eu un petit passage à vide pendant le Tour, j’ai eu du mal à aller m’entraîner. Donc j’ai repris la compétition au Tour de Wallonie sans être prêt. J’ai subi dès la première étape, il y avait du vent, de la pluie, et j’ai été éjecté. Je n’avais pas le niveau requis pour les compétitions professionnelles. Mais depuis ça va beaucoup mieux, j’ai repris un entraînement intensif, avec plus de sérieux, pour essayer de finir sur une bonne note. Je n’envisage rien de spécial, je ne serai certainement pas au niveau pour gagner quoi que ce soit, mais je voudrais bien terminer quand même.

Pour la première fois cet été, vous n’avez pas disputé le Tour. Comment l’avez-vous vécu ?

C’est très dur à vivre, c’est clair. Le Tour de France, c’est une partie de ma vie. J’ai fait du vélo pour ça, je suis devenu professionnel pour ça, et j’y ai toujours participé jusqu’à cette année. Donc ne pas être retenu dans l’équipe et voir le Tour partir sans moi, ça a été un coup dur. Mais j’ai aussi passé beaucoup de temps avec mes filles, qui étaient en vacances, et c’était beaucoup de bonheur. J’ai suivi l’épreuve avec détachement, j’ai regardé les étapes et ça s’est bien passé.

Si on vous avait annoncé que vous feriez cette carrière il y a 15 ans, qu’auriez-vous dit ?

Je n’aurais jamais cru faire une telle carrière, participer 13 fois au Tour de France, deux fois aux Championnats du Monde, faire les Jeux Olympiques, porter le maillot à pois sur le Tour, gagner des courses dans toutes les catégories professionnelles, lever les bras dès ma première année… Je n’aurais jamais pensé faire tout ça. J’ai fait une très belle carrière, j’en suis très heureux. Avec mes petits moyens, j’ai très vite été dans le coup et d’ailleurs on a trop rapidement placé de grands espoirs sur mes épaules. Je n’avais pas les moyens d’être un grand leader, de me battre avec les meilleurs sur les classiques ardennaises notamment, où on attendait beaucoup de moi. Mais j’ai réalisé de beaux résultats sur ces épreuves, et il ne faut pas oublier qu’on a évolué dans une période un peu floue du cyclisme. Je suis donc très heureux d’avoir fait ce que j’ai fait, en n’ayant jamais franchi les limites du dopage, en restant propre. Aujourd’hui, je peux me regarder dans une glace et c’est ma fierté.

Si vous ne deviez retenir qu’une seule chose de vos années professionnelles, ce serait quoi ?

Je retiens la globalité de ma carrière. Mais les grands moments, c’est toujours sur le Tour de France, où j’ai vécu mes plus belles émotions sportives. Je n’ai pas gagné d’étape mais je suis passé tout près deux fois. En 2010 j’ai passé de grands moments avec Sylvain, lui avec le maillot jaune, moi avec le maillot à pois. L’étape des Rousses cette même année, j’étais en grande forme, j’avais gagné une étape du Giro quelques mois plus tôt, et Sylvain me double et va gagner. C’était des grands moments, les meilleurs de ma carrière.

Vous n’avez connu que trois équipes en 14 ans, comment expliquer une telle fidélité ?

J’ai toujours été quelqu’un qui s’attachait aux gens, qui avait besoin de confiance pour travailler. Dans les équipes où je suis passé, j’ai toujours eu cette confiance, j’ai toujours ressenti aussi qu’il y avait quelque chose derrière le sport. Il y avait une vie dans le groupe. J’ai passé de grands moments avec Jean-René (Bernaudeau, ndlr), avec des coureurs qui sont restés mes amis. Et puis c’était complètement différent chez Quick Step, avec les résultats à la base de tout. Ca aide aussi à souder un groupe, j’ai vécu des moments sportivement incroyables là-bas. D’ailleurs, je pense que si Patrick Lefevere m’avait gardé il y a deux ans, j’y serais encore, parce que j’y étais très bien.

En changeant d’équipe en 2009, votre rôle a changé. Expliquez-nous.

C’était un choix personnel. Quand je suis arrivé chez Quick Step, c’était une belle équipe, mais pas celle d’antan. Il a fallu gagner des courses pour avoir une place dans l’équipe. En 2010, j’ai fait un bon Giro puis un gros Tour de France, et Patrick a vu que j’étais quelqu’un de fiable, de solide. Puis Omega nous a rejoint comme sponsor et l’équipe est redevenue une armada, donc il a fallu que je trouve ma place. Je n’étais pas assez fort pour être un leader, et mon rôle a été très vite trouvé parce que je suis quelqu’un de très collectif, qui adore travailler pour les autres. Qu’une victoire soit pour moi ou pour l’équipe, ça a pour moi la même saveur. Et j’ai rencontré un homme extraordinaire avec Mark Cavendish, j’ai pris énormément de plaisir à travailler pour lui. Pendant deux ans, tout s’est déroulé à la perfection. Notre année 2013, avec cinq victoires sur le Giro et deux sur le Tour, où j’étais à son service, c’était aussi de très grands moments.

D’ailleurs, on a presque davantage parlé de vous lorsque vous vous mettiez au service de Cavendish que lorsque vous jouiez votre carte personnelle chez Bouygues…

Ca me correspond tout à fait. Je suis un équipier, un homme du collectif. Je n’ai jamais eu l’âme d’un leader, plutôt celle d’un meneur, d’un capitaine de route. Mais au début c’était logique qu’il y ait des espoirs placés en moi. En passant pro, j’étais numéro un français, parmi les meilleurs mondiaux. J’étais très attendu, et en plus j’ai rapidement gagné chez les pros. J’ai aussi fait mon premier Tour, où avec un peu de réussite et un peu plus de science de la course, j’aurais gagné une étape à Pau. Donc on a cru en moi, surtout qu’à l’époque il n’y avait pas beaucoup de coureurs français qui marchaient. Mais je me aperçu moi-même de mes limites, et de celles du vélo à l’époque où je le vivais. Je me suis rendu compte qu’il y avait des choses inaccessibles pour moi. Mais de toute façon je n’ai pas cherché la reconnaissance. On m’aime ou mon déteste pour la même chose : je suis entier, je ne cache rien. Je n’étais peut-être pas fait pour évoluer dans ce milieu, mais j’y ai passé quinze ans malgré tout…

Est-ce que vous avez un regret sur votre carrière ?

Pas vraiment. J’ai fait des choix à certains moments de ma carrière, de façon naturelle. Le seul regret que j’ai peut-être, c’est de m’être un peu entêté à préparer le Tour certaines saisons, en oubliant le reste. Je l’ai fait une fois ou deux et c’était une petite erreur, mais je suis content de tout ce que j’ai fait. Après, je n’oublierai jamais les deux centièmes de seconde qui nous ont manqué à Nice pour gagner le chrono par équipes en 2013. Avec ça mon palmarès aurait été complet, j’aurais gagné une étape du Tour.

Pour la suite, quel est votre envie ? Devenir consultant sur beIN Sports, pour qui vous aviez commenté les Mondiaux de Florence en 2013 ?

Oui, sur beIN ou sur une autre chaîne. En 2013, ça m’avait beaucoup plu, et c’est mon but. J’ai très envie d’être consultant, voire même plus en faisant une formation pour devenir journaliste sportif. Je vais lancer mes contacts en espérant être l’an prochain sur une chaîne pour commenter du vélo, voire même aider à évoluer sur le foot parce que j’aime beaucoup ça, et j’en parle déjà à la radio. Commenter le sport en général, ça me plait beaucoup. Et puis dans un avenir un peu plus lointain, je vais monter un dossier et essayer de rentre au CDES (Centre de droit et d’économie du sport, ndlr) à Limoges pour passer un diplôme de management.

On sait aussi que vous aimeriez devenir agent de coureur, ou même manager…

Oui tout à fait. Les agents, dans ma génération il n’y en avait pas, mais désormais c’est de plus en plus répandu. Christophe Le Mével va tenter de passer ce diplôme également. De mon côté, j’ai déjà beaucoup de coureurs au téléphone, qui me demandent conseil. Je voudrais poursuivre ce rôle de conseiller. Mais le but ultime pour moi, c’est bien sûr d’avoir ma propre équipe dans les années qui viennent. Sauf que pour ça, il faut que je sois armé, et ce diplôme doit m’aider à comprendre la constitution d’une équipe, les rapports avec les sponsors, etc.

Vous avez côtoyé Bernaudeau et Lefevere, deux managers emblématiques du peloton. Si vous devenez manager, que prendrez-vous de chacun d’eux ?

Je piocherai dans les deux car ce sont deux grands monsieurs. Je prendrai le côté enthousiaste, pétillant, collectif de Jean-René. J’aime aussi sa vision du vélo, de la formation, du renouveau par la jeunesse, des coups stratégiques inattendus. Puis je prendrai le professionnalisme, le sérieux, la culture de la victoire et le côté « patron » dans le bon sens du terme de Patrick. Je suis admiratif des deux, même si ça ne s’est pas toujours bien passé. Donc si un jour j’ai la chance de diriger une équipe, je m’aiderai de ce que j’ai vécu avec eux, qui sont pour moi des exemples dans le vélo.

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