Fabian Cancellara est un retraité qui n’a pas le temps de s’ennuyer. Après dix-sept saisons chez les professionnels, il a raccroché le vélo cet hiver, avec un palmarès long comme le bras. Mais il ne s’ennuie pas pour autant. Alors quelques jours avant le week-end d’ouverture en Belgique, entre deux avions, le Suisse de 35 ans a répondu à la Chronique du Vélo. Pour confier ce ses émotions au moment où débutent les classiques, et revenir avec pudeur sur sa carrière.

Que ressentez-vous lorsque vous voyez tout le monde faire sa reprise, mais pas vous ?

Pour le moment ça va. Je suis le vélo d’une autre manière, je regarde les résultats et en particulier ceux de l’équipe Trek, forcément. Mais j’ai pris une nouvelle voie, une nouvelle direction, et je dois avancer de mon côté. Le cyclisme, lui, poursuit dans sa direction, même sans moi.

Vous roulez encore ?

Un petit peu oui, mais ça n’a plus rien à voir. Je ne fais plus grand chose. Et puis je ne suis plus professionnel, alors je n’ai pas besoin de rouler l’hiver.

Ce week-end débutent les classiques avec le Het Nieuwsblad et Kuurne-Bruxelles-Kuurne. Vous avez un petit pincement au cœur de ne pas y être ?

Pas particulièrement, ça va encore. Parce que le week-end d’ouverture n’a jamais été très important pour moi. Je n’y allais pas tous les ans, comme d’autres. Pour moi, le vrai début de saison, c’est Tirreno-Adriatico. Et là, quand la course va partir sans moi, ça va être beaucoup d’émotions. Les Strade Bianche, Tirreno, Milan-Sanremo, j’y ai été pendant de nombreuses années. Les jours qui vont précéder la course, je ne vais pas être nerveux, mais je vais sûrement avoir des sensations un peu bizarres.

Tom Boonen arrêtera sa carrière dans un mois et demi, au soir de Paris-Roubaix. Vous n’auriez pas voulu faire une dernière campagne contre lui ?

« C’est fini. C’est fini hein ! »

Cancellara à Luca Guercilena, juste après son titre olympique

Non, j’ai pris ma direction. J’ai décidé d’arrêter et j’ai décidé pour moi. Lui fait ses propres choix, pour lui. On a une histoire commune mais il a fait ses courses, moi les miennes. De 2010 à la fin de ma carrière, je pense avoir été très compétitif et on a souvent été l’un contre l’autre. Mais ensuite, on a chacun notre histoire.

En quelques mois, avec vous et lui, le cyclisme aura perdu deux monument…

Oui mais le cyclisme continue, il ne s’arrête jamais. Tout le monde s’arrêtera un jour. Tom et moi on a fait une grande partie de l’histoire des classiques, c’est sûr. Mais vient un moment où l’on doit dire stop.

Quand on parle de vous aujourd’hui, vous voulez qu’on se souvienne de quoi ?

(Il soupire, ne sachant pas quoi répondre). Ça, c’est les gens qui doivent le dire. Mais l’important, c’est que quelque chose de positif ressorte. J’ai eu une grande carrière, mais à la fin, les gens retiennent ce qu’ils veulent. Oui, j’espère simplement que ce soit du positif.

Vous préférez qu’on se rappelle de vos victoires sur les classiques, de votre domination sur les chronos, de vos maillots jaunes sur le Tour ?

J’ai eu une carrière très différente des autres et j’aimerais que l’on se souvienne en partie de ça. Les classiques et les chronos ont fait une grande partie de ma carrière, c’est certain. Mais ma plus grande émotion, je pense que c’est aux Jeux Olympiques l’an dernier. Même si j’ai eu beaucoup de grandes journées. A chaque fois que j’ai gagné, finalement. En revanche, je ne peux pas choisir une victoire. Elles sont toutes exceptionnelles, il n’y en a pas une que je veux changer. Chacune a son histoire.

L’émotion, au moment de passer la ligne d’arrivée des Jeux, vous vous en souvenez ?

Oui, après avoir passé la ligne, j’étais très fatigué (rires) ! Mais avant le départ, j’avais dit à la famille : si je gagne, c’est la dernière. Alors quand j’ai terminé le chrono, j’ai tout de suite dit à Luca (Guercilena, manager général de Trek et sélectionneur de l’équipe Suisse) : « C’est fini. C’est fini hein ! » Il m’a dit « Oui, oui, mais viens fêter la victoire, on verra ça plus tard. » Terminer comme ça, c’est la plus belle chose de ma carrière. C’est exceptionnel. C’est rare qu’un athlète puisse arrêter sur une grande victoire, de cette façon.

Vous aviez peur de terminer sur de mauvais résultats ?

« Personne ne peut venir et dire “Ce sera lui” (le nouveau patron du peloton). Ca doit se faire sur le moment. »

Fabian Cancellara

Non je n’avais pas peur, je n’ai jamais peur. Mais je ne savais pas comment j’allais arrêter. C’est comme Alberto (Contador) : il a dit « J’arrête », puis finalement il a continué. Tom (Boonen), lui, dit qu’il arrête et il va le faire. Moi, je voulais faire les choses bien pour moi, et être le plus authentique possible. Quand j’ai décidé d’arrêter, je l’ai fait pour moi. Je n’ai pas pensé à ci ou ça, j’ai juste pensé à moi.

Aujourd’hui, certains se souviennent aussi de l’histoire du moteur. Ca vous embête ?

Parfois ça me fait chier, oui… A la fin, j’avais pris ça à la rigolade en disant « Le moteur, je l’ai dans les jambes ». Mais c’est allé loin. Pourtant, tous les vélos avec lesquels j’ai gagné sont chez moi. Je n’ai rien à cacher. Et surtout, mon style a toujours été le même. Je cours avec ma tête et les jambes font le reste. J’aimerais d’ailleurs qu’on se souvienne de ça.

Êtes vous conscient d’avoir été l’un des derniers patrons du peloton, comme on n’en verra peut-être plus ?

Oui mais je n’ai pas le temps d’y penser et de désigner un successeur. Personne ne peut venir et dire « Ce sera lui ». Ça doit se faire sur le moment. Moi, je pense avoir été un patron naturel, et surtout juste. J’ai pensé au bien des coureurs. Sur le Tour en 2010 (à Spa, ndlr), on a pu dire que j’avais agi pour le bien de mon équipe. Mais ce jour-là, je n’ai pas pensé à moi ou aux frères Schleck : j’ai pensé à tout le monde. J’ai d’ailleurs perdu le maillot jaune, et je l’ai récupéré le lendemain. Je pense que si j’avais mal agi, ça n’aurait pas été le cas. Quand on fait les choses mal, il ne nous arrive pas des bonnes choses derrière.

Que vous disent les gens, aujourd’hui, quand ils vous arrêtent dans la rue ?

Ils me parlent de ma carrière, des Jeux Olympiques. Ils me remercient, me souhaitent bonne chance pour la suite. Ils me conseillent aussi de prendre du temps pour ma famille. Les gens sont très sympas, bienveillants.

La retraite, c’est aussi moins de rendez-vous avec la presse. Vous appréciez ?

Vous savez, je suis quand même très ouvert. Pendant ma carrière, je me disais : « Que ça m’emmerde ou pas, de toute façon, ça ne va pas changer ma vie. » Regardez, encore aujourd’hui, on parle de tout. Y compris de l’histoire du moteur. Je ne veux pas passer 20 minutes à parler que du moteur, ou bien de dopage, ça ne sert à rien. Mais en parler, ça ne me dérange pas.

Il y a presque un an dans une interview pour L’Equipe, vous aviez dit qu’une fois à la retraite, vous achèteriez un vélo à moteur pour accompagner votre femme. Il est fait, cet achat ?

Oui, j’ai un vélo électrique et je l’utilise beaucoup ! Je vais partout en ville avec, c’est très sympa. Surtout que là où j’habite, il y a beaucoup de bosses. Et puis comme ça, je prends moins la voiture, c’est un geste écologique.

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