Christophe Moreau a gagné deux fois le Dauphiné. Autant que Bernard Thévenet, Raymond Poulidor ou encore Miguel Indurain, mesurez l’exploit ! Alors pendant plusieurs années, il a nourri les espoirs de tous les supporters de l’Hexagone, qui voyaient en lui l’un des seuls coureurs capable d’aller titiller les meilleurs en montagne. Pourtant, le Franco-Suisse n’a jamais réussi à convertir ses succès de juin en un maillot jaune à Paris fin juillet. Celui qui fut bien souvent le meilleur tricolore du Tour revient pour la Chronique du Vélo sur ses victoires dans l’épreuve et sur la difficulté de doubler ensuite avec la Grande Boucle.

En 2001, vous gagnez votre premier Dauphiné, le plus serré de l’histoire. Racontez-nous comment vous avez conservé cette petite seconde sur Pavel Tonkov ?

C’était absolument fou ! La dernière étape était organisée sur le parcours des championnats du monde de 1989 à Chambéry, donc ça grimpait et c’était dur. En plus, on a eu une pluie battante qui nous est tombée dessus, c’était abominable, on ne voyait plus que les phares des voitures. Mon équipe de l’époque, Festina, a parfaitement contrôlé la course, puis je me suis retrouvé seul sur le circuit à devoir répondre aux attaques de Tonkov et des autres. Ça n’a pas été facile. Sur la fin, j’étais plus à l’aise que Tonkov dans les descentes glissantes et j’ai finalement conservé cette petite seconde. Je ne me suis jamais dit que c’était gagné avant d’avoir franchit la ligne. Ça glissait, j’aurais vite pu me retrouver à terre. Gagner dans ces conditions dantesques m’a procuré des émotions très intenses.

Et vous enchaînez en remportant le prologue du Tour…

Sur le Tour 2001, Christophe Moreau porte le maillot jaune deux jours – Photo DR

J’étais déjà passé près de la gagne. Mais en 2001, j’ai eu la satisfaction de faire le parcours parfait. J’étais décontracté, j’avais parfaitement reconnu le parcours, je savais quelles trajectoires j’allais prendre à l’avance. Techniquement et physiquement, j’ai été parfait ce jour-là. Ce genre de moment n’arrive qu’une fois dans une carrière. C’était un don du ciel et en plus, celle qui est devenue ma femme m’a remis le maillot jaune à l’arrivée.

Cette année-là, vous abandonnez finalement sur le Tour et dans votre carrière vous n’avez jamais réussi aussi bien sur la Grande Boucle que sur le Dauphiné. Pourquoi ?

C’est vrai qu’aujourd’hui, quand je vois mes résultats sur le Dauphiné, il y a ces deux victoires, deux deuxièmes places, plusieurs tops 5… J’y ai souvent brillé, peut-être trop même. J’avais probablement trop besoin me rassurer sur le Dauphiné, d’être vraiment bien. Selon les années sur la période de mai-juin, j’ai aussi gagné les 4 jours de Dunquerque, le GP Midi Libre. Alors je manquais certainement d’un poil de fraîcheur sur le Tour. Encore que, quand on voit contre qui je perdais en juillet, les Ullrich, les Armstrong, ça rendait la tâche plus difficile.

Dans un peloton plus propre, vous auriez eu plus de chances ?

Quand je vois le cyclisme actuel, avec la nouvelle donne salutaire pour le cyclisme et des Français qui réussissent, je me dis qu’un Christophe Moreau aujourd’hui n’aurait pas eu tous ces coups de moins bien. À mon époque, tu faisais sixième du Tour, tu étais l’équivalent d’un champion du monde pour un Français. Désormais, ils jouent le maillot jaune et c’est tant mieux. Mais je ne vis pas dans la nostalgie et ça me fait plaisir de voir aujourd’hui Thibaut (Pinot) et Romain (Bardet) venir titiller les meilleurs.

En 2007 pourtant, vous gagnez à nouveau le Dauphiné. Là, le ciel est plus dégagé avec la retraite d’Armstrong et les retraits forcés d’Ullrich et Basso. Mais c’est le sort qui s’acharne…

« J’avais la nécessité d’être rassuré dans ma tête, de voir que je pouvais suivre les US Postal quand ça devenait dur. Le Dauphiné, c’était ma rampe de lancement. »

Christophe Moreau

Cette année-là, c’est vrai que j’avais les jambes pour le faire. Sur le Dauphiné, je gagne au Ventoux, une étape mythique, et à Saint-Etienne. J’étais clairement dans une phase euphorique pour le Tour. En première semaine, j’attaque à Tigne avec le maillot de champion de France, j’étais bien. Mais à cause d’une chute et d’un coup de bordure, mes espoirs se sont envolés. Sans ça, je pense vraiment que j’aurais pu aller chatouiller le podium d’encore plus près. La victoire, ça aurait été difficile mais j’avais la force physique et mentale pour faire quelque chose de grand. À partir du moment où les minutes de retard se sont accumulées, j’ai un peu lâché prise dans la tête et le corps était de toute façon trop meurtri pour espérer mieux.

Vous avez parlé d’un possible manque de fraîcheur au moment d’attaquer le Tour après avoir été au top sur le Dauphiné. Est-ce vraiment un problème d’arriver en forme trop tôt ?

Parfois on se sent un peu dépassé par ses sensations, mais personnellement, j’avais besoin de me sentir fort sur le Dauphiné. J’avais la nécessité d’être rassuré dans ma tête, de voir que je pouvais suivre les US Postal quand ça devenait dur. Le Dauphiné, c’était ma rampe de lancement et finalement derrière, ça n’a pas si mal marché que ça pour moi. J’étais quand même dans le coup. Après, c’est vrai que je n’étais pas plus fort sur le Tour que sur le Dauphiné, mais j’arrivais tant bien que mal à maintenir cette condition jusqu’à fin juillet. Du coup il manque peut-être à ma carrière un coup d’éclat, un podium à Paris ou une grande étape de montagne. Mais j’ai fait des choix.

Certains coureurs n’arrivent pas au meilleur de leur forme en juin pour pouvoir être encore mieux en juillet, c’est une bonne idée ?

Sous les couleurs de l’équipe Festina, Moreau termine 4e du Tour 2000, son meilleur résultat – Photo Eric Houdas

C’est vrai que cette année, j’ai vu un Romain Bardet un petit peu en dessous sur le Dauphiné et ça lui permettra peut-être d’être mieux sur le Tour. C’est ce qui m’a manqué mais j’avais trop cette envie de gagner dans la peau. Surtout, j’aimais beaucoup le Dauphiné donc je ne regrette rien. Et puis je ne pense pas qu’on puisse faire un bon Tour de France en faisant un Dauphiné hors course. Si un coureur est dans le gruppetto tous les jours au Dauphiné, on ne le verra pas à l’avant en juillet, c’est évident. Par contre, si on reste un petit peu en retrait, plus mesuré dans ses efforts mais tout de même présent comme l’a été Romain Bardet, ça peut-être une bonne solution. Ça lui laisse une bonne marge de progression. Le Dauphiné reste quand même un excellent test et ceux qui sont dans le coup dans les moments difficiles se rassurent.

On a pu voir que certains leaders, comme Valverde et Contador, ont d’ailleurs été en difficulté pendant la semaine du Dauphiné. Leur forme doit-elle inquiéter ?

Alejandro, je le connais bien, il est capable de tout et de gagner rapidement en condition. Alberto Contador, lui, a été très en dessous. Alors il aura sûrement les moyens d’être en grande forme pour la troisième semaine, mais le début de Tour risque d’être compliqué. En Allemagne, il va sans doute y avoir des bordures, ensuite il y a la Planche des Belles Filles… Quand on prend des coups de bambou dès le début de Tour, c’est difficile d’inverser la vapeur. Je pense qu’il s’attendait à être mieux et il pourrait souffrir pendant la première semaine.

Que pensez-vous de Jackob Fuglsang, le lauréat de ce Dauphiné 2017 ?

Ça peut être la surprise du Tour ! C’est un coureur complet, athlétique, très solide, avec un peu le même gabarit que le mien. Et il s’avère qu’en haute montagne il est au niveau. Sur le Dauphiné, à Solaison, il met à mal Richie Porte qui est un des garçons les plus en forme du moment, mais aussi Contador, Froome. Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des grands noms qui gagnent, il sera donc à surveiller le mois prochain. Et puis, il a gagné avec la manière, à la pédale, en battant les meilleurs. L’emporter comme ça, ça veut dire qu’il a encore de la ressource. Je pense aussi que ça a mis un coup au moral à ses adversaires donc il a ses chances, c’est évident.

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