Adam Hansen est un coureur unique dans le peloton. Inusable, l’Australien de l’équipe Lotto-Soudal vient de boucler son dix-septième grand tour de suite. Depuis le Tour d’Espagne 2011, il n’a pas loupé une seule course de trois semaines. Une performance herculéenne pour cet équipier modèle désormais rentré dans l’histoire. De sa voix cristalline, il a conté à la Chronique du Vélo les sources de son exploit, les meilleurs mais aussi les pires moments de sa longue épopée, loin d’être terminée.

Petit, rêviez-vous de devenir un jour cet Iron Man du vélo ?

Non, vraiment pas ! Ça a commencé, je me souviens, quand j’en étais à ma deuxième année professionnelle. J’avais alors 26 ans et j’ai enchaîné Giro et Tour de France la même année, alors que j’avais fini la saison précédente par la Vuelta. J’avais donc déjà fait les trois grands tours les uns à la suite des autres et j’ai vraiment aimé ça. En 2012, j’ai voulu essayer de les faire sur la même année, pour voir. J’ai passé de superbes moments et j’ai voulu recommencer, encore et encore… Jusqu’à battre le record de onze grands tours d’affilés en 2015 sur le Tour (un record précédemment détenu par Bernardo Ruiz et qui tenait depuis 1958, ndlr).

Comment faîtes-vous pour tenir le coup ?

« Ce n’est pas tous les jours que, dans le cyclisme, tu peux réaliser quelque chose que personne n’a jamais fait avant. Tout le monde souhaite laisser son emprunte dans son domaine, donc je suis plutôt fier. »

Adam Hansen

Pour le côté physique de ma performance, j’ai la chance d’avoir une équipe autour de moi qui me donne un super programme chaque année. Lotto me permet de faire les trois grands tours tout en m’aménageant des plages de repos pour récupérer. Ma réussite doit beaucoup à mon programme d’entraînement, il est vraiment construit pour m’assurer de récupérer assez et de repartir pour un tour. J’essaye aussi de rester en bonne santé toute l’année, c’est primordial. Après, le physique ne suffit pas, il y a aussi un côté mental. Il faut savoir lutter dans la tête. C’est parfois compliqué de partir pendant des semaines loin de la maison pour s’épuiser sur le vélo. Mais je m’amuse vraiment donc ça rend les sacrifices plus faciles à faire.

Quel fut votre grand tour le plus usant ?

Le plus dur, c’était sans doute la Vuelta de l’an passé. Physiquement, c’était épuisant. Le profil de la course était très difficile, la compétition très relevée et les scénarios de courses fatigants.

Celui lors duquel vous avez été le plus proche de l’abandon ?

Le Tour de France 2015 car j’ai eu des problèmes avec mon épaule. J’ai vraiment pensé que je ne serais pas capable de le finir. C’était vraiment douloureux, il a fallu y aller au courage et pour moi ce fut la plus difficile des courses.

Celui dont vous gardez le meilleur souvenir ?

Hansen victorieux à Pescara sur le Giro 2013 – Photo RCS Sport

Question difficile…. Celui où je gagne sur le Giro peut-être ? Mais il y aussi ma victoire d’étape sur la Vuelta, l’un de mes plus grands moments. Puis comment ne pas citer l’année où sur le Tour André Greipel a gagné quatre étapes ? C’était certainement mon plus grand Tour en tant que coéquipier. L’équipe était très bonne, soudée, on a tous joint nos efforts pour obtenir ce superbe résultat… Non, je ne peux pas choisir, vraiment. Chaque grand tour était spécial, je les ai tous apprécié, chacun à leur manière. C’est un ensemble en fait, un accomplissement général.

Vous ne citez pas celui pendant lequel, malgré votre chute, vous battez le fameux record de Bernardo Ruiz en terminant un douzième grand tour d’affilé ?

Normal que je ne le cite pas directement (rires) ! Comme je vous l’ai dit, ce Tour de France 2015 fut l’épreuve la plus difficile pour moi. Quand je suis tombé, j’ai vraiment cru que c’était fini pour moi. À l’arrivée, finalement, le sentiment était vraiment sympa, je dois bien l’avouer. Ce n’est pas tous les jours que, dans le cyclisme, tu peux réaliser quelque chose que personne n’a jamais fait avant. Tout le monde souhaite laisser son emprunte dans son domaine, donc je suis plutôt fier d’avoir mon nom inscrit quelque part dans l’histoire de mon sport. D’autant que j’ai bâti cet exploit sur la durée, année après année. Alors oui, c’est vrai que, même si il fut l’un des plus difficiles, ce Tour de France 2015 est l’un des plus grands moments de ma carrière. Marquer l’histoire de son sport, c’est plutôt cool non ?

Et votre plus belle victoire alors ? Celle sur la Vuelta 2014 ou celle sur le Giro 2013 ?

« Sur le Giro, beaucoup de coureurs m’ont chambré. Ils m’ont dit « C’est dur hein ? Mais c’est ton premier de la saison, souviens toi que tu en as encore deux à faire cette année ! »

Adam Hansen

Celle sur la Vuelta. En Italie, c’était une belle victoire car le parcours était difficile, il pleuvait, il y avait eu des chutes. C’était un peu une victoire de rêve pour un échappé. Mais c’était une victoire en échappée justement, je devais juste être le meilleur du groupe de fuyards. Sur la Vuelta, c’était complètement différent, il ne restait que les meilleurs pour la victoire. Plusieurs coureurs ont tenté leur chance mais quand je suis parti à cinq bornes de l’arrivée, personne n’a pu suivre. J’étais le plus fort dans le final. Ce jour-là, sur la Vuelta, je peux dire que j’ai battu tout le monde.

Votre prochain objectif ?

Une victoire sur le Tour de France. Je dois obtenir cette victoire sur le Tour avant ma retraite ! En juillet, j’espère être en bonne condition pour gagner une étape. Je voudrais vraiment finir ma carrière avec une victoire dans chacun des trois grands tours.

Quand allez-vous arrêter de ne pas arrêter ?

Jamais ! Non, en réalité je vais déjà essayer de tous les terminer cette année. Puis j’espère pouvoir recommencer l’année prochaine, puis l’année d’après…

Ne seriez-vous pas un peu fou ?

Adam Hansen s’est aussi offert une étape sur le Tour d’Espagne, en 2014 – Photo Unipublic

Oui bien sûr que je dois l’être, je le pense tous les jours ! Mais je n’ai même pas besoin de me dire que je suis fou car dans le peloton, on me le rappelle tout le temps ! Dans ce Giro par exemple, il y a eu des étapes très dures et beaucoup de coureurs m’ont chambré par rapport à mon grain de folie. Ils m’ont dit « C’est dur hein ? Mais c’est ton premier de la saison, souviens toi que tu en as encore deux à faire cette année ! » L’an dernier sur la Vuelta, même chose, on était sur une étape particulièrement compliquée et plusieurs coureurs m’ont demandé en riant « Et tu en as fait deux autres cette année ? » J’ai répondu, lasse : « Et ouaaaaiiiiis, c’est stupide je sais ! » (rires)

Maintenant que votre record est solide, pourquoi continuer ?

Ce n’est pas une question de record. J’aime vraiment les courses de trois semaines. C’est comme un grand mix : parfois je dois aider André (Greipel) dans les sprints, d’autres fois Tony (Gallopin) dans la montagne et je peux même tenter ma chance de temps en temps. Et puis c’est une aventure, un groupe de mecs qui partent ensemble pendant un mois loin de chez eux, qui travaillent ensemble, qui vivent ensemble. C’est vraiment ce que j’aime dans les grands tours. Si je devais chuter demain et que j’abandonnais mon record, il n’y a qu’une seule chose que je voudrais, continuer d’enchaîner Giro, Tour et Vuelta chaque année. Ce n’est pas juste histoire d’être là pour augmenter mon nombre de participations consécutives, c’est vraiment que j’aime ce type de courses.

A force, vous devez connaître vos coéquipiers mieux que personne !

Oui, et pour certains comme André Greipel et Tony Gallopin, ce sont de bons amis maintenant. Tous les deux, ils m’impressionnent. André, je le connais depuis nos années HTC (2008, ndlr). C’est un grand mec, lourd, l’un des meilleurs sprinteurs du monde, mais il est quand même capable de grimper plutôt bien. C’est sacrément impressionnant.

« Le Tour, tout le monde veut en être, il y a des journalistes du monde entier, une foule démentielle… C’est génial pour ces raisons. Mais pour ces mêmes raisons, c’est également un peu désagréable. »

Adam Hansen

Tony Gallopin m’épate aussi. Il est probablement le plus professionnel des coureurs avec lesquels j’ai couru. Il a du talent certes, mais sa motivation et sa détermination le caractérisent encore plus. Pour tout dire, il réussit des performances qui dépassent son talent, et ça c’est exceptionnel. En plus, il a une connaissance du cyclisme incroyable, et c’est un vrai travailleur. Par exemple, quand on va sur le Tour de France, Tony connaît toutes les étapes dans les moindres détails, toutes les routes… Il est comme une boule de cristal, il peut prévoir tous les scénarios qui vont arriver en course. Le plus incroyable c’est qu’à chaque fois, ce qu’il dit au briefing finit par arriver.

Sur le millier de coureurs que vous avez croisé durant votre épopée, il y en a-t-il un qui sort particulièrement du lot?

Je dirais Peter Sagan. Il est plutôt impressionnant je dois bien l’avouer. C’est un coureur spécial, unique. Je pense que personne ne lui est comparable, il a un talent que personne n’a car il est bon partout et a un panache fou. Son dernier Milan San-Remo, même si ce n’est pas sur un Grand Tour, est l’exemple de cette grandeur qui l’anime. Il aurait put attendre le sprint et gagner, mais il a préféré attaquer dans le Poggio. C’est tout lui. Il anime la course, il joue sur le vélo. C’est simple, il est prêt à risquer de perdre une course pour pouvoir la gagner de la plus belle des manières.

Décrivez-nous chacun des grands tours de votre point de vue.

Le Giro est une course passionnante, passionnée et de passionnés. Il y a quelque chose de particulier, difficile à retranscrire par des mots mais que j’adore. Le Tour de France, c’est juste la plus grande course du monde. Tout le monde veut en être, il y a des journalistes du monde entier, une foule démentielle… C’est génial pour ces raisons. Mais pour ces mêmes raisons, c’est également un peu désagréable. La pression des médias est tellement forte, c’est une course tellement intense, il y a tellement d’attentes… Mais c’est normal, c’est la plus grande course du monde. La Vuelta, enfin, c’est le dernier grand moment de la saison, il y a moins de pression, plus d’opportunités et cerise sur le gâteau, il y a toujours une bonne météo.

Si vous deviez n’en choisir qu’un ?

Impossible, j’aime trop les trois courses. Elles ont toutes leurs particularités, elles sont toutes spéciales.

Buy me a coffeeOffrir un café
La Chronique du Vélo s'arrête, mais vous pouvez continuer de donner et participer aux frais pour que le site reste accessible.