Dans la masse de journalistes et de fans, des personnages discrets sont à l’oeuvre pendant le mois de juillet. Le Tour est une grande course, une grande fête mais aussi un grand forum où agents, coureurs et dirigeants essaient de construire l’avenir.

Un moment charnière

Nieve annoncé chez Orica alors que Keukeleire quitterait l’équipe australienne pour retrouver Lotto-Soudal, Barguil sur les tablettes de grandes équipes mais finalement proche de signer chez Fortuneo… Les rumeurs vont bon train en cette fin de mois de juillet, alimentées par les négociations en sous-mains durant le Tour de France et l’approche de la date fatidique du premier août où les signatures peuvent être officialisées. « Le Tour est une période charnière, c’est un peu le grand marché, explique Michel Gros, illustre agent de coureur qui a vu défiler des centaines de cyclistes dans son agence. C’est notre principale activité, on est très présents la veille de la journée de repos, on s’active pendant et on est encore là le lendemain matin. On est aussi présents les jours précédant le départ, à l’arrivée à Paris… Les agents sont omniprésents dans ces moments-là. »

Le Tour est un moment stratégie pour l’avancement des tractations. « Pendant le Tour de France, toute l’élite mondiale est réunie au même endroit. Le tout à une période où l’on dispute la plus grande épreuve du monde d’une part et où l’on réfléchit à l’avenir, à la composition des effectifs pour l’année suivante, détaille Philippe Raimbaud, représentant de Bryan Coquard notamment. C’est donc un mois important pour rencontrer les différents acteurs du cyclisme. Pour discuter, sous-peser, imaginer, penser à l’avenir. »

« C’est notre principale activité. Départ, journée de repos, arrivée à Paris… Les agents sont omniprésents dans ces moments-là. »

Michel Gros

Mais si la période est importante, elle n’est pas l’unique rendez-vous de l’année. « Les choses concrètes commencent un peu plus tôt, pendant les championnats nationaux fin juin concernant les transferts entre équipes françaises. Le Tour, c’est plutôt à l’international, pour des coureurs un peu plus huppés », explique Philippe Raimbaud. Mais il y a un autre moment essentiel, plusieurs mois en amont : la semaine entre l’Amstel et Liège, fin avril. La campagne flandrienne est alors terminée, les équipes belges et néerlandaises pensent déjà à ajuster leurs effectifs, et comme sur le Tour, tout le monde est réunit au même endroit pendant plusieurs jours. Loin de la date butoir du 1er août, la prise de contact est alors plus facile, sans tension, même si les détails se jouent ensuite en plein été. « Sur le Tour tout devient plus concret , reconnaît Raimbaud. Par exemple quand Jérome Coppel avait quitté Cofidis pour IAM fin 2014, j’avais eu des contacts avant le Tour, mais c’était bien pendant l’épreuve que le contrat s’était confirmé. »

Des agents loin de la folie du foot

Le rôle des agents est alors primordial. Parfois, ce sont les équipes qui viennent aux nouvelles pour les coureurs. Souvent, c’est l’inverse. « On a une liste des coureurs en fin de contrat, que nous donnons à tous les managers. Avec Jean-Christophe Péraud par exemple, en 2011, quand il était chez Lotto, nous sommes allés démarcher des équipes, raconte Michel Gros. C’était d’autant plus ardu que Péraud n’était pas en fin de contrat. » En fait, le Français était pro depuis huit mois, mais ne supportait pas d’être le numéro 2 au sein de l’équipe belge. Le leader présumé, Jürgen van den Broeck, marchait moins bien que lui. “Jicé” voulait alors absolument aller voir ailleurs. « Du coup, on a cherché une équipe française qui lui offrirait le statut de leader et AG2R a répondu favorablement. Là, les négociations ont commencé… », reprend Gros.

Des négociations qui ne tournent pas autour de l’argent. Si le mot n’est pas complètement tabou dans le cyclisme, sa possession n’est pas aussi vertement revendiquée par ses dirigeants et ses athlètes que dans d’autres disciplines. Le vélo n’est pas aussi rémunérateur que les sports business que sont le football, le basketball ou le tennis, et l’impact de la monnaie n’est donc pas aussi prégnant. Ainsi, le salaire ne serait pas la priorité durant les négociations d’après Philippe Raimbaud. « Lorsque je discute avec un manager d’équipe, l’aspect financier n’est qu’une conséquence du reste. Généralement, la question de la rémunération ne se pose qu’à la fin. »

D’ailleurs, il arrive que la question ne touche jamais le cycliste. « J’ai un coureur qui discute d’entraînement, de stratégie, mais jamais d’argent avec son patron. La partie financière, c’est pour moi, reprend Raimbaud. Ça évite de polluer les relations. » Évidement, il y a des pré-requis implicites qui limitent les cibles des deux côtés. « Les managers ont une idée de la fourchette salariale dans laquelle s’inscrit un coureur et savent ce qu’ils peuvent lui proposer. L’équipe Roubaix Métropole ne se pose même pas la question d’appréhender l’agent de Froome ! »

 « Nous sommes trop souvent représentés de manière caricaturale ou imaginaire. On a l’image de l’agent qui trie ses billets et qui magouille, mais ce n’est pas vrai. »

Philippe Raimbaud

Les salaires sont pourtant rarement mirobolants. Les multi-millionnaires ne se comptent que sur les doigts des deux mains, quant aux millionnaires, la France n’en avait qu’un jusqu’à cette année, Nacer Bouhanni et son contrat en or chez Cofidis. Mais en général, un coureur du Tour de France qui touche plus de 15 000 € par mois est un chanceux. Des sommes très modestes pour des coureurs aux carrières souvent courtes et précaires. « La différence avec le football c’est principalement l’argent. Nous, nous sommes des artisans, eux de vrais industriels », affirme Philippe Raimbaud. Alors pas question de souffrir de l’image d’Epinal sacralisée par des professionnels médiatisés tels que Mino Raiola. « Nous sommes trop souvent représentés de manière caricaturale ou imaginaire. On a l’image de l’agent qui trie ses billets et qui magouille mais ce n’est pas vrai, se défend Philippe Raimbaud. On dit souvent que les agents sont les acteurs d’un marché aux bestiaux mais je ne m’inscris pas du tout dans cette logique, je travaille au service d’êtres humains, de sportifs de haut niveau qui ont des fragilités. »

Pas un bouleversement

De la gestion humaine continue, des discussions permanentes, le Tour n’est donc qu’un rendez-vous pour approfondir des contacts souvent pré-existants. Il ne bouleverse pas toujours les projets des équipes et des coureurs. C’est même assez rare. À moins d’une performance inouïe, comme celle de Bernard Kohl en 2008, qui avait ensuite signé chez Lotto avant qu’on ne découvre la supercherie autrichienne, il est inhabituel qu’un coureur puisse faire changer le cours de sa carrière uniquement sur les trois semaines de la Grande Boucle. « Les performances que les coureurs réalisent sur la plus grande course du monde ont un impact, c’est certain. Mais, généralement, il n’y a pas de révélations subites. Quand vous regardez le nom des vainqueurs d’étape cette année, il n’y a que du lourd. Le Tour est un passage prestigieux et spectaculaire mais il ne renverse pas souvent la vision fondamentale des équipes sur les coureurs », relativise ainsi Philippe Raimbaud.

« Généralement, il n’y a pas de révélations subites. Quand vous regardez le nom des vainqueurs d’étape cette année, il n’y a que du lourd. Le Tour est un passage prestigieux et spectaculaire mais il ne renverse pas souvent la vision fondamentale des équipes sur les coureurs. »

Philippe Raimbaud

De nombreuses prolongations, pourtant, sont officialisées juste avant que la concurrence ne puisse entrer dans la danse. Fin juin, à Düsseldorf, avant que les choses ne deviennent très sérieuses, Richie Porte paraphait une extension de contrat « sans y réfléchir » et AG2R prévenait que Romain Bardet et Pierre Latour avaient re-signé. Cette année encore, beaucoup d’annonces de prolongation ont été faîtes avant ou pendant l’épreuve. Il ne faut pas y voir une tentative d’échapper aux tentations que peut générer la Grande Boucle selon les intéressés. « C’est dans l’ordre des choses », nous confiait ainsi Romain Bardet. Philippe Raimbaud confirme : « Je ne pense pas que ce soit pour éviter les tentations. Il y a beaucoup de fantasmes autour de ça mais quand un coureur s’épanouit dans une équipe, il est naturel qu’il y prolonge. »

Il n’empêche que choisir une telle solution permet d’éviter la surenchère. Le cas de Warren Barguil, dont la valeur a monté en flèche avec le Tour, pourrait ainsi se révéler intéressant si son équipe de toujours ne parvenait pas à le conserver face à la convoitise des formations rivales. Les tractations du mois de juillet révéleront leurs premiers secrets dans quelques jours avec le début officiel des signatures le premier août. Pour les agents, il restera alors à régler les dossiers les plus épineux.

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