Le Tour d’Italie 1955 met aux prises trois coureurs italiens : Fiorenzo Magni, Fausto Coppi et Gastone Nencini. Les deux premiers ont 35 ans, le dernier seulement 25. C’est l’expérience contre la jeunesse. La veille de l’arrivée, il n’y a plus de montagne au programme et Nencini est en tête du classement général, avec plus d’une minute d’avance sur ses deux compatriotes. Tout le monde pense alors qu’il a course gagnée, et tout le monde fait une grosse erreur. La vingtième étape, entre Trente et San Pellegrino, va en effet bouleverser cette édition, et la faire entrer dans la légende.

Préparation minutieuse

A deux jours de l’arrivée à Milan se déroule l’étape reine de ce Giro 1955, entre Cortina d’Ampezzo et Trente. Une journée terrible dans les Dolomites, au cours de laquelle Fiorenzo Magni, moins bon grimpeur des trois Italiens, avait beaucoup souffert, lâchant dans les montées et revenant dans les descentes, quand Gastone Nencini faisait le nécessaire pour conserver son maillot rose. Dans la soirée, tout le monde pensait alors la bataille pour la première place terminée, et devant la presse, Fiorenzo Magni abondait dans ce sens. Avec ce qu’il venait d’encaisser, personne ne l’imaginait encore en mesure de partir à l’abordage dans les ultimes étapes, dénuées de difficultés. Sauf que le Toscan, pourtant pas réputé pour son sens tactique, savait que se profilait lors de l’étape suivante une portion d’environ quinze kilomètres sur une route très abîmée, comparable à celles empruntées lors du Tour des Flandres, une épreuve qu’il avait remporté trois fois. Alors que ses mécaniciens s’affairaient pour lui monter des pneus lourds et plus résistants, lui mettait en place sa stratégie.

Une bonne partie de la nuit, il peaufina son plan avec l’aide de ses coéquipiers. Sans oublier de se mettre dans la poche une partie du peloton, sur la base de petits arrangements plus ou moins secrets. Hugo Koblet accepta par exemple d’aider Magni en échange d’une victoire d’étape assurée pour l’arrivée à Milan. Adepte de la météo difficile que proposent les classiques flandriennes, le natif de Vaiano fut d’autant plus rassuré le matin de cette avant-dernière étape qu’il comprit rapidement que le froid et l’humidité feraient partie de l’équation. Des conditions climatiques que n’appréciait pas Nencini, rarement au départ des épreuves nordiques. Maillot rose durant une semaine en première partie d’épreuve, Magni avait donc tout mis en œuvre pour réussir son coup et récupérer le paletot de leader quand personne ne s’y attendait. Ne restait plus qu’à compter sur de bonnes jambes et un peu de réussite. Pour le reste, son expérience et sa roublardise feraient la différence.

Un Coppi indispensable et inoffensif

Lorsqu’au détour d’un virage arriva le secteur que Magni attendait, le bonhomme ne se fit pas prier pour attaquer. Coppi sauta dans sa roue, Nencini en fit autant. Sauf que ce dernier, sans doute par erreur de jeunesse, avait des pneus classiques, et il ne tarda pas à crever, comme 87 des 97 coureurs qui composaient encore le peloton. Ni une ni deux, Magni accéléra, avec Coppi sur le porte-bagage. « J’ai dû faire tout le travail jusqu’à Brescia, où j’ai laissé Fausto prendre un premier relais. Après ça, il a travaillé avec moi, et nous avons fait ensemble les 160 kilomètres jusqu’à San Pellegrino. Au début, sur le bord de la route, on vit des pancartes ‘’Viva Nencini !’’, puis rapidement, les gens ont changé pour ‘’Viva Coppi !’’ et ‘’Viva Magni !’’ », racontera le Toscan quelques années plus tard. Il est en train d’écrire un grand chapitre de l’histoire du Giro, avec l’aide d’un Campionissimo qui a donc décidé de collaborer.

Nencini, lui, est pris au piège. Son directeur sportif lui conseille de se relever pour attendre le peloton, jugeant qu’il n’a aucune chance en continuant seul. Le maillot rose s’exécute, mais une fois repris, se heurte aux alliances passées la veille par le leader de l’équipe Nivea. Personne ou presque ne daigne aider le leader de la course, c’est dire l’influence des deux briscards à l’avant. « Quand j’entends qu’un athlète de 35 ans est considéré comme vieux, je souris », expliquera le triple vainqueur du Giro après sa carrière. A l’arrivée, l’écart est impressionnant : le duo Magni-Coppi a repris plus de cinq minutes au peloton. Magni laisse la victoire à son compagnon d’échappée, pour le remercier de sa collaboration, et se contente du maillot rose, qu’il endosse avec treize secondes d’avance sur Coppi. « J’aurais pu lui reprendre ces secondes dans le final de l’étape, mais je considérais ça déloyal. Magni, au cours de notre échappée, avait fourni la plus grosse part du travail », confiera Coppi, fair-play. Ces treize secondes, même si elles ne sont pas un record du plus petit écart enregistré entre un vainqueur et son dauphin, feront la légende. Et pour toujours, le coup de maître de Fiorenzo Magni restera dans les livres d’histoire.

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