Au tableau d’honneur de Milan-Sanremo, le Cannibale Eddy Merckx figure en bonne et due place au palmarès du plus grand nombre de victoires. Un record qu’il sera difficile d’égaler. Pourtant, la barre avait déjà été placée bien haut dans les années 1920, avec la domination sans partage d’un coureur piémontais, Costante Girardengo.

Faux départ puis razzia

Le « premier Campionissimo de l’histoire », selon le directeur de la Gazzetta dello Sport Eugenio Colombo, a aujourd’hui quelque peu disparu de la mémoire populaire. Et pourtant, Dieu sait si la carrière de Costante Girardengo aura été bien remplie. Son palmarès colossal en atteste : deux Tours d’Italie, avec au passage trente victoires d’étapes, neuf titres de champion national, trois Tours de Lombardie… Et donc six Milan-Sanremo. Pourtant, le score aurait pu être encore plus impressionnant dès 1915, le coureur de Novi Ligure ayant été déclassé pour avoir emprunté un chemin de traverse du côté de Porto Maurizio, où les organisateurs avaient détourné la course sans l’en informer…

1915, l’année de ses 22 ans. Girardengo est alors un jeune loup qui court sous les couleurs de la Bianchi, et qui s’est déjà taillé une solide réputation sur les routes transalpines, champion national et vainqueur de Milan-Turin les années précédentes. Spécialiste des efforts de longue haleine, il réussit l’un de ses premiers coup d’éclat sur les routes de Rome-Naples-Rome, une classique longue de 610 kilomètres. Et c’est donc en 1918 que Girardengo ouvre son palmarès sur la Primavera. Et de quelle manière ! Avec seulement sept coureurs à l’arrivée – sur trente-trois participants -, c’est dans des conditions dantesques que Costante le fuyard se fait la malle à près de 200 kilomètres de l’arrivée.

Une échappée incroyable et réussie, puisque son poursuivant et coéquipier Gaetano Belloni finit à plus de treize minutes. Trois ans plus tard, c’est dans les ultimes mètres que se conclut sa deuxième victoire, au sprint, face à un autre champion de l’époque, Giovanni Brunero. Un ordre d’arrivée qui sera inversé l’année suivante : Girardengo l’infortuné ne peut disputer la victoire, la faute à un spectateur imprudent agitant son drapeau au bord de la route ; ledit objet venant se coincer dans la roue du coureur piémontais… 1923, 1925, 1926, 1928 : avec encore quatre beaux succès tombés dans son escarcelle, qui le placent tout en haut de la hiérarchie italienne, Costante montre qu’il a encore de beaux restes. Pourtant, les jeunes débarquent, devenant pour le coup des rivaux acharnés, à l’instar du célèbre Alfredo Binda.

Une dernière victoire et une idée sans lendemain

Sa dernière victoire, en 1928, est malgré tout restée dans les mémoires. Grâce à une image : Girardengo et Binda sont ensemble, mais chacun d’un côté de la chaussée, ne se souciant pas de l’autre. « Gira » règle finalement son rival au sprint, la légende laissant entendre que quelques espèces sonnantes et trébuchantes auraient été monnayées… Un ordre d’arrivée inverse à celui des Mondiaux du Nürburgring, les premiers de l’histoire, où Binda devance de plus de sept minutes son équipier de Novi Ligure. L’âge se faisant sentir, Girardengo vit sa carrière progressivement perdre son éclat, jusqu’en 1936, année de sa retraite sportive.

Son histoire avec la petite reine ne s’est pas terminée pour autant : une entreprise de cycles prospère à son nom (la marque existe toujours) voit le jour, et une carrière de directeur sportif réussie l’attend, avec notamment la victoire de Gino Bartali sur le Tour de France 1938. Une épreuve que curieusement, Girardengo aura toujours délaissée, préférant se parer de gloire dans son pays. Un affront que Desgranges ne lui pardonna véritablement jamais. Pourtant, « Gira » émit un jour le souhait de défier ses adversaires sur un long contre-la-montre de plusieurs centaines de kilomètres, « sur le parcours de Milan-Sanremo, ou sur une route étrangère, y compris sur un tracé de type Galibier et Izoard… ». Le défi n’eut jamais lieu. Girardengo resterait définitivement l’homme d’un pays. Et l’homme d’une course.

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