Nous allons savoir. Trois semaines après son triomphe sur le Dauphiné, le Danois Jakob Fuglsang passe au révélateur de la Planche des Belles-Filles aujourd’hui. Si il n’a pas eu la faveur de nos pronostics, le Scandinave est un prétendant crédible au classement général. Au Danemark en tout cas, on y croit.

Le Danemark s’enflamme pour son champion

« Au pays, les gens pensent plus ou moins qu’il peut gagner le Tour ! Ils sont très excités à propos de lui. Pour le grand public « the hype is on », il est à la mode et on en parle comme d’un vrai favori. » Quand Jimmi Willemoes-Jensen, journaliste dans le quotidien Ekstra Bladet, décrit la folie qui prend son bout de terre à propos de Jakob Fuglsang, un sourire inénarrable traverse son visage, d’excitation à première vue. « La télévision au Danemark est focalisée sur lui. Il est dans tous les journaux télévisés, tous les talk show. Tout le monde le connaissait déjà avant le Dauphiné mais cette victoire a décuplé l’attention autour de lui. » Jakob Fuglsang est une star : « Il n’est pas pourchassé par les paparazzis, mais tout le monde connaît Jakob au Danemark. Il a un impact comparable au footballeur Christian Eriksen. »

Il avait le potentiel pour gagner le Tour il y a sept, huit ans. Je pense qu’il ne l’a plus désormais.

Michael Rasmussen

Jimmi Willemoes-Jensen finit par dévoiler l’ironie de son sourire et en profite pour nuancer : « Les gens qui connaissent vraiment le vélo relativisent. Il ne peut pas faire mieux qu’un Top 10, peut-être aussi bien que sa septième place en 2013 mais c’est le maximum. » Et Michael Rasmussen, l’ancien maillot à pois, d’ajouter : « Il avait le potentiel pour gagner le Tour il y a sept, huit ans. Je pense qu’il ne l’a plus désormais. J’ai longtemps pensé qu’il en avait les possibilités, mais il n’a plus 24 ans. Son potentiel nous l’avons déjà vu, c’est celui d’un bon coureur, pas d’un vainqueur du Tour. »

L’ancien maillot jaune déchu est catégorique. Jimmi Willemoes-Jensen, un brin plus diplomate, lance une explication supplémentaire à celle du manque de talent pur : « On est dubitatifs sur le fait qu’il soit le n°1 de son équipe, surtout après la performance de Fabio Aru dans son championnat national. Ça a fait les gros titres au Danemark. » Et lorsque l’on parle à Alexandre Vinokourov, le manager général d’Astana, ces doutes se confirment à mi-voix : « La stratégie va se dessiner au jour le jour. Pour Fabio d’abord, mais aussi pour Jakob vu sa forme cette année, admet Vino, sans équivoque. Le seul but, c’est le maillot jaune. » Le sous-entendu est clair, là où Aru a talent, jeunesse et expérience d’une victoire sur trois semaines, son coéquipier n’a qu’une septième place vieille de quatre ans sur le Tour.

Une carrière finalement décevante

Le choix d’Aru semble donc logique avant de commencer les choses sérieuses. La brillante victoire de Fuglsang au Dauphiné n’y change rien. Pourtant, il y a un peu moins de dix ans, lorsque le Danois commençait sa carrière professionnelle chez CSC aux côtés des frères Schleck, le monde du cyclisme fondait de grands espoirs en lui. « Quand il est devenu professionnel, je m’étais entraîné avec lui en Italie, nous raconte Rasmussen. Il était vraiment très fort à ce moment-là. A son âge c’était assez incroyable. » Mais la progression espérée n’arrivera pas. Équipier assez passif des Luxembourgeois à ses débuts, le grimpeur a répondu aux attentes bien plus tard, en 2013, avec une septième place sur le Tour. «  Quand Jakob a fini septième, on a cru qu’il avait eu le déclic mais depuis il n’a eu que de mauvaises années », déplore Jimmi Willemoes-Jensen.

Malgré la déception, au Danemark, il jouit d’une plutôt bonne image. « C’est difficile d’être déçu par sa carrière car il n’a pas le talent d’un Froome ou d’un Contador. Il a gagné des courses plus petites, a fait quelques top 10 sur les classiques, c’est déjà bien, excuse presque Jimmi Willemoes-Jensen. Et il a un comportement impeccable. » L’ancien lieutenant de Nibali a aussi une belle image car il n’a jamais été touché par une affaire de dopage. « Il y a beaucoup de sceptiques, beaucoup de trolls sur internet. Après ce qui est arrivé avec Bjarne (Riis) ou Michael (Rasmussen), c’est compréhensible. Quand Cardoso a été attrapé, ça a relancé cette idée que le vélo ne sera jamais complètement propre, même si ça va mieux. Mais malgré tout, en général, les gens ont foi en Jakob, ils ont confiance dans sa probité. »

Lui y croit

Le pays, qui s’est pris de passion pour le cyclisme dans les années 1990, croit donc fermement dans les chances de son champion de faire partie des meilleurs. Et lui aussi, comme il nous le confiait jeudi à Düsseldorf. «  Je vise le général, c’est mon objectif. Je ne suis pas focalisé sur la victoire, je n’en rêve même pas. Si tout va très bien, le Top 5 est un objectif réalisable. Et puis du Top 5 au podium, il n’y a qu’un tout petit pas… »

Le Top 5 est un objectif réalisable. Et puis du Top 5 au podium, il n’y a qu’un tout petit pas…

Jakob Fuglsang

Ambitieux, le Danois devra se battre avec les Contador, Froome, Bardet et Quintana. Richie Porte, de son côté, se méfie de son ami : « On s’entraine ensemble à Monaco, et je savais qu’il était en pleine forme pour le Dauphiné. Jakob mérite sa chance, c’est un vrai concurrent cette année. En plus il vient d’avoir un enfant, il est épanoui et super motivé. » Pour Andy Schleck, son ancien coéquipier, ce facteur est essentiel. « Le fait qu’il soit papa, que tout se soit bien passé, qu’il ait prolongé, ça fait que son avenir est assuré. Il est totalement libéré, nous confie le Luxembourgeois. Il a aussi cassé une barrière psychologique en gagnant sur le Dauphiné, donc il a vraiment ses chances cette année. »

La motivation ne suffira néanmoins pas, il faudra déjà s’imposer comme un leader dans sa propre équipe, alors même que Fabio Aru tient solidement la corde. « On commence avec deux leaders et on verra comment la course se déroule, commence Fuglsang, utilisant les éléments de langage fixés par Astana. On a vu si souvent des équipes dédiées à un seul leader qui finalement abandonnait. Tout peut arriver donc ce n’est pas une mauvaise chose d’avoir deux leaders. Cela peut aussi permettre de mettre en place des stratégies. » Être tacticienne, l’équipe aura au moins besoin de ça pour battre les Sky de Chris Froome. Mais si Aru et le Danois sont au niveau, ils peuvent désorganiser l’équipe britannique. « Si je peux battre Froome, je vais pas m’en priver », s’amuse Fuglsang avant de filer à l’hôtel. Si il le faisait, le Danemark jubilerait.

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