Sur l’Amstel Gold Race comme sur la Flèche wallonne, il ne s’est rien passé – ou très peu – avant la montée finale. Deux courses de côtes, où le Cauberg dimanche et le Mur de Huy mercredi ont décidé du vainqueur. Un scénario immuable depuis quelques années, qui tend à rendre la mythique semaine ardennaise plus ennuyeuse que jamais…

La faute aux parcours ?

En quelques semaines, le contraste est frappant. Passer de la folie flamande, où tout peut basculer en un instant, à des ardennaises ultra-prévisibles, c’est quelque chose… Alors certes, les pavés jouent un grand rôle puisqu’ils sont un danger permanent, pour les novices comme pour les spécialistes. Mais il n’y a pas que ça. Sur le Tour des Flandres par exemple, le dernier mont – ces dernières années, le Paterberg – est placé à une douzaine de kilomètres de l’arrivée. Comme le Carrefour de l’Arbre, réputé comme le juge de paix de Paris-Roubaix, et qui se situe à plus de 15 bornes du vélodrome. Des difficultés relativement éloignées de l’arrivée qui obligent les leaders à entamer les hostilités bien avant. Il est en effet impossible, même pour Cancellara ou Boonen, de tout miser sur un unique mont ou secteur pavé  pour faire la différence. Celle-ci serait trop minime pour être conservée jusqu’au bout. La sélection doit donc être en partie faite en amont. De ce fait, en 2012, lors du dernier passage au Paterberg, sur le Tour des Flandres, il n’y a que trois hommes. Et lorsqu’il y a un peu moins de deux semaines, à l’entrée du Carrefour de l’Arbre, encore dix hommes peuvent prétendre remporter l’Enfer du Nord, on met en avant l’exception.

Sur les ardennaises, ça n’a rien à voir. Enfin, surtout sur l’Amstel et la Flèche. Les difficultés ont beau être nombreuses tout au long du parcours, les cadors ne bougent pas. Ils auraient tort de se découvrir trop tôt, en effet, puisque cela anéantirait leurs chances de victoires. Mais cela en vient à banaliser, par exemple, les 245 premiers kilomètres de l’épreuve néerlandaise. Même l’incroyable enchaînement proposé dans les 40 dernières bornes (Kruisberg, Eyserbosweg, Fromberg, Keutenberg, Cauberg, Geulhemmerberg, Bemelerberg) a accouché d’une souris il y a quelques jours. Thomas Voeckler a tenté d’y dynamiter la course, accompagné de quelques outsiders. Mais guère plus. Idem sur la Flèche wallonne, où les deux premiers passages au Mur de Huy sont juste anecdotiques. En revanche, sur Liège-Bastogne-Liège, le scénario est en général plutôt différent. Si – malheureusement – les coureurs ne partent pas à près 100 kilomètres de l’arrivée comme cela pouvait être le cas il y a quelques décennies dans l’enchaînement Wanne – Stockeu – Haute-Levée, la décision ne se fait pas dans les derniers hectomètres. Evidemment, il y a parfois bataille entre quelques hommes dans les rues d’Ans, la victoire de Martin il y a un an en est la preuve. Mais jamais avec un peloton de 50 coureurs. Parce que la Doyenne, justement, offres ses plus belles difficultés un peu plus tôt que ses cousines.

La faute aux points ?

C’est donc incontestable, le parcours joue un rôle prépondérant dans le scénario prévisible des ardennaises – malgré la récurrence maxime « ce sont les coureurs qui font la course. » Mais ce n’est pas tout. Si Marc Madiot confirme cette hypothèse, son franc parler, à l’arrivée de la Flèche mercredi, pointait du doigt un autre problème, peut-être plus crucial encore. « Ça court pour marquer des points : quinze, vingt, qui serviront au classement du World Tour, avance le manager de l’équipe FDJ.fr. Il n’y a plus que des courses bloquées, stéréotypées… Si on a un leader en forme on marque des points, s’il est hors service on ne marque pas de points. Et les gens s’ennuient devant la télé, sauf au Tour des Flandres et à Paris-Roubaix grâce à la nature de leur parcours. Je crains que les trois courses (Amstel Gold Race, Flèche wallonne, et dimanche, Liège-Bastogne-Liège) soient les mêmes. On a voulu ce vélo, on l’a. » Le constat est sanglant, et loin d’être dénué de sens. En poursuivant l’analyse, en effet, tout se tient. C’est de cette quête de points que viendrait la passivité des outsiders. Au lieu de tenter leur chance en prenant des risques loin de l’arrivée, avec la victoire en tête, ils préfèrent attendre le final et aller chercher une place d’honneur qui leur offrira quelques précieux points UCI. Ainsi, on minimise le risque. Mais avec, ces coureurs minimisent surtout leurs chances de décrocher une victoire de prestige.

Romain Bardet était d’accord, en septembre dernier dans les colonnes de L’Equipe, pour parler de « stéréotypes. » Il confiait même que « la course en perd de sa superbe. » Lui le récent professionnel qui avait l’habitude des courses amateurs débridées, se retrouvait dans un monde similaire en apparence, mais finalement bien différent. Chez les professionnels, le calcul règne. En fin de saison, certaines équipes peuvent perdre leur licence World Tour : la hantise de tous. Après l’échec des recrutements à points – qui ont mené Euskaltel à sa perte et avaient failli aboutir au même résultat, un an plus tôt pour AG2R – désormais bannis, les stratégies à points ont pris le pas. Pourtant, il faut dire qu’on ne s’éclatait déjà pas toujours en regardant les courses. Ça en a remis une couche. Alors certes, on préfère ça au spectacle artificiel que l’on a pu connaître par le passé. Mais c’est sacrément dommageable, car c’est certain, il est possible d’avoir du spectacle sans dopage. Le talent de certains coureurs actuels est immense, et l’on se prête souvent aux jeux des comparaisons avec leurs glorieux aînés. Alors pourquoi serait-il impossible d’avoir des courses semblables à celles des années 1980 ? Une question de mentalité, sans doute. Car le Cauberg et le Mur de Huy existent depuis des décennies. Ce qui n’empêchait pas, il y a dix ans et plus, d’avoir du spectacle bien avant l’ascension finale. Mais c’est à croire que désormais, le cyclisme souhaite rentrer dans l’image que lui forgent les non-observateurs : celle d’un sport chiant à regarder. Encore un petit effort, on y est presque.

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