Dans la bouche de Javier Guillen, directeur du Tour d’Espagne, un mot a fait figure de leitmotiv au moment de révéler le parcours de la prochaine édition : l’allègement. Pour ne pas effrayer les coureurs sortant d’un été qui s’annonce très éprouvant avec le Tour de France et les Jeux Olympiques de Rio, les organisateurs ont choisi de diminuer de manière conséquente le kilométrage des étapes et des transferts entre les villes arrivées et départs. Mais pour quels effets sur le plan sportif ? Le troisième grand tour de l’année 2016 semble surtout pâtir d’un tracé à la conception minimaliste, que l’on espérait laissée derrière nous après le succès de l’édition 2015.

Du pourcentage, comme toujours, mais sans amuse-gueule

En optant de nouveau pour la multiplication des arrivées au sommet, souvent déclinées sous la forme de murs inférieurs à trois kilomètres, la Vuelta replonge dans la tonalité générale des éditions 2012 et 2013, où les puncheurs n’avaient jamais semblé disposer d’opportunités aussi grandes pour espérer accrocher un grand tour à leur palmarès. Citons par exemple les douze arrivées en pente – « Miradors » et cols compris – d’il y a un peu plus de deux ans, qui avaient inlassablement poussé à l’emploi du moins-disant de l’audace. Face à l’échec de cette stratégie, Unipublic et ASO avaient corrigé le tir en 2014 et 2015, dessinant une Vuelta bien plus équilibrée, où tout type de coureur avait sa chance. Retenons la formidable passe d’armes entre le pur grimpeur Fabio Aru et la révélation Tom Dumoulin au coeur d’un terrain composé de seulement six arrivées au sommet en haute montagne, mais contenant une réelle alternance des reliefs et des formats d’arrivées. L’impasse de la surenchère cumulative, dans laquelle le Giro semblait lui aussi se fourvoyer en 2014, refait donc surface pour un Tour d’Espagne 2016 qui concentre les difficultés brèves les plus exténuantes de la dernière décennie. Mirador d’Ézaro, l’Alto de la Camperona, Peña Cabarga, et une nouvelle difficulté qui s’annonce tout aussi tonitruante, le Camins del Penyagolosa et sa pente moyenne de 12 %, dépassant très fréquemment les 20 % sur des portions entières de montées. Toutes ces étapes n’auront donc aucun intérêt avant le pied de l’ascension finale, et, comme pour mieux l’affirmer, les officiels n’ont rien trouvé de plus élaboré que de créer des profils géométriques, dénués de tout relief avant l’explication attendue.

Ce sera le cas lors des huitième et treizième étapes, mais plus généralement, les étapes de montagne au sens classique du terme se feront très rares. C’est donc durant le deuxième week-end de course que les différences devraient se créer, et ce principalement en France, avec une quatorzième étape reliant la frontalière Urdax-Dantxarinea au Col d’Aubisque en passant par le col d’Inharpu, en plein Pays Basque, la Pierre-Saint-Martin et le difficile col de Marie-Blanque. Mikel Landa, bien qu’il ne sache pas encore s’il sera au rendez-vous, ne s’y trompe donc pas lorsqu’il parle d’étape reine, et pointe également un contre-la-montre trompeur : « Les étapes de l’Aubisque et d’Aitana sont pour moi les étapes reines de cette Vuelta. Le contre-la-montre de Calpe dans la dernière semaine pourrait également marquer la course et il faudra donner le maximum avant pour créer des écarts. Il sera plus difficile qu’il en à l’air sur le profil, où il semble plat. » Le lendemain, la distance réduite de la quinzième étape, longue de 120 kilomètres au cœur des cimes aragonaises, permettra aux favoris de mettre le feu aux poudres avec trois ascensions pour déjouer les stratégies planifiées des grosses écuries. Mais pour espérer assister à de pareilles étapes, il faudra se contenter de très peu. Deux étapes vraiment vallonnées, au Pays Basque, pourraient sourire aux baroudeurs qui se voient bridés au profit d’une course qui s’annonce rythmée par les bonifications, tantôt appréciées, tantôt décriées. Les sprinteurs, eux, auront du mal à faire le déplacement avec seulement six opportunités potentielles de victoires.

L’expression d’une fatalité calendaire ou ligne assumée ?

Mais qu’importe, les sprinteurs sont déjà tournés vers d’autres horizons. Année bissextile oblige, 2016 gratifie le peloton d’une course olympique explosive au Brésil, impliquant la réorganisation de certaines épreuves du calendrier. Le Tour de Pologne, marquant habituellement la reprise pour bon nombre d’hommes en forme de la seconde partie de saison, se juxtaposera avec la Grande Boucle. Enfin, l’Eneco Tour, traditionnellement situé durant la deuxième semaine d’août, a été décalé à la toute fin septembre en lieu et place de la semaine conventionnelle des championnats du Monde, repoussés en octobre du fait des contraintes climatiques du Qatar. Beaucoup de bouleversements qui se répercutent dans l’agenda des coureurs. La Vuelta a beau avoir conservé ses dates, elle se retrouve néanmoins en première ligne de ce chambardement. N’étant plus amorcée par la moindre course World Tour si ce n’est le Tour de France un mois auparavant, elle a même vu une autre course préparatoire, le Tour de Burgos, s’avancer dans la foulée de la Clasica San Sebastian et attirer quelques stars avant leur départ en Amérique du Sud. Encore plus cette année, la condition physique devrait s’avérer plus déterminante que le niveau intrinsèque des prétendants à la victoire finale.

Bon nombre de candidats à une médaille olympique, dont Vincenzo Nibali par exemple, n’excluent pas de prendre part au Tour d’Italie avant d’arriver en forme durant le Tour de France et de garder son pic de forme jusqu’aux Olympiades. Enchaîner avec la Vuelta dans la foulée est irraisonnable, et tout simplement impossible dans l’ère moderne du sport cycliste. Faire l’impasse sur le Tour de France après le Giro est une solution réelle, mais, même s’il s’en est fallu de peu, personne n’a réussi à rééditer le doublé Giro-Vuelta depuis 2008 et les exploits d’Alberto Contador. “El Pistolero”, d’ailleurs, n’est absolument pas certain de se lancer à la conquête d’un quatrième sacre sur son tour national, comme il l’a déclaré lors de la présentation du tracé. Il a en effet avancé que « [son] cœur ne doit pas décider à la place de [ma] tête », et que « les bonifications et les arrivées assez raides ne [lui] conviennent pas très bien ». Alors, qui prendra bien le risque d’aller dépenser le reste de son énergie saisonnière sur une Vuelta sans véritable coupure après le Tour et les JO ?

Une telle formule, enchaînant les arrivées en altitude les unes après les autres, reste propice aux Espagnols, qui prendront toujours un malin plaisir à ferrailler les uns contre les autres, au détriment d’une course qui aurait dû suivre la voie de l’an passé. Les excuses insistant sur le besoin d’alléger les distances et les difficultés sont réelles, oui. Une seule étape dépassera les 200 bornes en 2016, mais sera plus longue que n’importe quelle étape de 2015. Enfin, rien n’aurait empêché de supprimer une bonne partie des 160 kilomètres de plat menant à la Camperona pour y ajouter quelques trouvailles pour condenser la journée en moins de 150 kilomètres. Une simple suggestion parmi d’autres, pour rompre avec une certaine habitude stylistique qui remet sur la table des circuits finaux déjà vus, celui du Vivero à Bilbao, et les mêmes quarante derniers kilomètres qu’en 2013 pour atteindre Aramon Formigal. Les lacs de Covadonga, eux aussi, seront mis à l’honneur pour la vingtième fois en trente-trois ans. On pouvait attendre une bien meilleure mise en valeur des richesses du relief espagnol. Au lieu de ça, la facilité l’a emporté. Errare humanus est, persevare diabolicum.

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