C’est presque terminé. Alberto Contador raccrochera son vélo à la fin de la prochaine Vuelta. Dans un peu plus d’un mois, le coureur emblématique de l’ère post-Armstrong terminera une carrière d’envergure historique. Avec l’espoir d’imprégner, au moins un peu, son ultime Tour d’Espagne de son empreinte légendaire.

Le complexe saturnien

Depuis des années, l’instant était en suspens. Le moment fatidique où Alberto Contador annoncerait sa fin. C’est arrivé hier. La courte minute durant laquelle il a annoncé la nouvelle a dû paraître une éternité pour les fanatiques – le mot n’est pas galvaudé quand on parle du Pistolero – qui croyaient encore dans le futur de leur champion. Sourire forcé, tonalité un peu fausse, tristesse palpable, Alberto Contador a expliqué qu’il finissait sa longue carrière heureux. « Bonjour à tous. Je fais cette vidéo pour vous informer de deux choses. La première, c’est que je vais participer au prochain Tour d’Espagne à partir du 19 août. La seconde, c’est qu’il s’agira de ma dernière course en tant que cycliste professionnel. Je dis ça avec joie, sans la moindre tristesse. C’est une décision que j’ai mûrement réfléchi et je ne pense pas qu’il puisse y avoir de meilleurs adieux qu’une course dans son pays. » Le décalage entre la perception du message et son contenu ne trompe pas. L’Espagnol semble mélancolique.

Beaucoup ont cru à ses chances sur le dernier Tour. Nous l’avions même classé deuxième de notre pronostic. Il n’en a rien été. De chutes en défaillances, d’attaques sans convictions en déconfitures, le Madrilène a traversé sa dernière Grande Boucle comme l’ombre du génial attaquant qu’il fut. Sa neuvième place l’avait attristé, quoi qu’il en dise aujourd’hui. C’est qu’il croyait encore un peu que ses jambes d’antan armaient toujours son corps d’homme de 34 ans. Comme frappé d’anosognosie, il refusait de voir qu’il avait perdu son aisance, même s’il avait bien vu les journalistes déserter ses alentours. Si Alberto Contador avait déjà évoqué la retraite plusieurs fois depuis deux ans, son esprit de compétiteur avait finalement refusé l’idée. En 2015, il avait annoncé son retrait à la fin de la saison 2016, mais il avait repoussé l’échéance quelques mois plus tard. L’an passé, sur le Dauphiné 2016, il avait même déclaré ne vouloir partir que fin 2018. Depuis 2013 et son échec cuisant sur le Tour, Contador n’était plus le roi de la montagne, le dompteur des cols. En 2014, il avait bien crû avoir retrouvé toute sa superbe mais une chute l’a éloigné de ce fol espoir. Ce fut la dernière vision de Contador le magnifique. On a depuis vu le tacticien, le coureur de panache certes, mais plus le dominateur qui avait maté les frères Schleck et Lance Armstrong en 2009.

Cette année, libéré de son geôlier Tinkoff, il avait pourtant clairement repris espoir après de très bons premiers mois sous les couleurs de la Trek. Deuxième de Paris-Nice, du Tour de Catalogne et du Tour du Pays Basque, le Pistolero semblait renaître tel un phoenix. Il a vu Roger Federer et surtout son voisin Rafa le faire en tennis. Pourquoi pas lui ? Son fade mois de juillet avait finalement soufflé ses rêves les plus fous, et tout le monde pensait l’avoir vu pour la dernière fois sur les routes du Tour. De là à le voir disparaître des routes tout court, il y avait un monde. Il était d’ailleurs question de doubler Giro et Vuelta l’an prochain pour sortir dignement en décrochant le rose ou le rouge. Finalement, Contador a pris tout le monde de court. Il finira dès cette année une carrière d’anthologie. La fin d’un long complexe de saturne, parfois triste mais souvent teinté d’un orgueil plaisant.

Une carrière controversée mais exceptionnelle

Alberto Contador a ses détracteurs. L’Espagnol a été un coureur sulfureux. Une image que sa discrétion n’a pourtant jamais alimentée. Les affaires de dopages s’en sont occupées. Membre de la très trouble équipe Liberty Seguros pendant ses premières années, cité dans l’affaire Puerto, élève du maître Johann Bruyneel chez Discovery Channel lors de son premier succès sur le Tour en 2007, contrôlé positif en 2010 au clenbutérol… Son ancien équipier Jörg Jaksche s’était même emporté dans les colonnes du Monde après le premier triomphe de Contador sur le Tour. « Il est tout à fait anormal que Contador puisse continuer à courir sans être inquiété par l’opération Puerto alors que le Coni a demandé deux ans de suspension contre Caruso. Il n’y a pas plus dans le dossier contre Caruso que contre Contador. Il y a un traitement différent selon les coureurs », déplorait l’Allemand. Une chose de plus, peut-être, Contador considérait encore, en 2007, le renégat Manolo Saiz comme un second père. Le dossier à charge est lourd, son attitude au Port de Bales en 2010 aurait encore pu aggraver davantage ce profil de tricheur tenace. Pourtant, Contador a toujours réussi à éviter un maximum les quolibets. C’est que le Pistolero est un délice à voir sur le vélo. Capable de s’envoler vers les cimes dans un style fluide et inimitable, insatiable attaquant, parfois de très longue haleine et obsédé par la victoire seule. Contador séduit.

Un tempérament et une classe qui ont fourni en nombre les rangs de ses admirateurs. Contador a été un coureur adulé. Si bien que pour ses plus grands fans, le dopage s’efface, Contador a gagné neuf grands tours, qu’importe le palmarès officiel, celui du tapis vert. Seule la vérité de la route et des podiums compte. Ce qui choquerait pour d’autres paraît normal pour lui. Le coeur a ses raisons. Son parcours difficile agrémente aussi la légende. Alberto a eu une enfance compliquée dans l’ombre d’un petit frère déficient mental, vite chronophage pour les parents d’une famille sans moyens. C’est dans le vélo qu’il trouve une façon d’exister, de briller. Devenu un grand espoir du cyclisme, comme si le destin ne voulait pas de lui, il vit une seconde tragédie. Victime d’une chute sur le Tour des Asturies, il souffre d’un œdème logé dans le crâne. Il reste dans le coma trois semaines, avant de s’en sortir miraculeusement avec soixante-dix points de suture et deux plaques de titane dans le crâne. Malgré ces durs moments de vie, ou peut-être grâce à eux, Contador a écrit son mythe.

Alors, neuf ou sept, ce n’est qu’une question d’arithmétique. Ce qui compte réellement, c’est qu’Alberto Contador est le seul coureur, avec Bernard Hinault, à avoir remporté plusieurs fois chaque grand tour. Officiellement, le grimpeur a deux Tour, deux Giro et trois Vuelta au compteur. Un must. Sur trois semaines, il est le plus grand de notre temps, sans contestation possible. Ajoutez à cela deux Paris-Nice, un Tirreno, quatre Tour du Pays Basque et vous obtenez une icône du cyclisme contemporain. Sa rivalité avec Andy Schleck passera à la postérité, comme sa prouesse de plus de cinquante kilomètres vers Fuente Dé pour remporter sa deuxième Vuelta en 2012. S’il parvenait à jouer de sa magie pour s’offrir un quatrième Tour d’Espagne, un dernier maillot rouge, il réussirait l’ultime exploit d’une carrière exceptionnelle. Qu’on l’aime ou pas, sa légende mérite l’apothéose d’une belle fin.

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