Warren Barguil a connu deux ans de malheurs. En moins de trois semaines, le Breton a retrouvé le goût du bonheur. Avec lui, la France du Tour aussi. Le tricolore au sourire communicatif a démontré que l’on pouvait encore associer cyclisme offensif attrayant, service du collectif et résultats probants. Un maillot à pois bien dessiné sur les épaules, une victoire d’étape déjà dans la musette et une place dans les dix premiers au général en perspective, Warren Barguil a marqué cette Grande Boucle de son empreinte.

Quel Tour !

Warren Barguil est rieur. Cela faisait longtemps qu’on ne l’avait pas vu dans une telle euphorie permanente. Peut-être même depuis la Vuelta 2013, celle de sa révélation au grand public. Depuis, le Breton a un peu déçu. Une huitième place sur le Tour d’Espagne en 2014. Pire, il n’avait jamais fait mieux que quatorzième sur le Tour, son premier en 2015, terminé avec une fracture de la rotule qu’il avait cachée. Le héros ne se vante pas. Des places d’honneur sur des tours d’une semaine et sur les classiques ont suivi mais il n’a jamais connu un succès prestigieux pour accompagner son doublé espagnol de l’été 2013. Et puis, il y a eu cet accident dramatique l’hiver 2016 en Espagne, quand lui et ses coéquipiers sont renversés par une anglaise qui s’était trompée de sens au volant de sa voiture. Cassé, le Français est traumatisé. Il s’en souvient encore douloureusement. « J’aurais pu me retrouver dans un cercueil. » Alors il relativise sur le vélo, il y a plus important dans la vie. Mais son talent n’a pas été fauché en ce triste jour de janvier.

La peine et le plaisir se suivent souvent. Alors qu’il ne « devait même pas être sur le Tour », le Français arrivait sans pression aucune, pour la première fois. La situation qu’il préfère. Sa première semaine, marquée par un sprint perdu de quelques millimètres face à Rigoberto Uran était cruelle autant que rassurante. Dix jours plus tard, le maillot à pois moule son corps frêle de grimpeur, il est désormais entré dans le top dix et il s’est offert une victoire magnifique devant le duo Contador-Quintana. Son panache insatiable est enfin récompensé et il y a quelque chose de beau à ce déclic. À la fin de la huitième étape du Tour, il s’était flagellé avec une vigueur rare dans le monde très professionnalisé du sport en déclarant qu’il avait couru comme un idiot. Souvent raillé pour ses choix tactiques après avoir été perçu comme un crack en la matière, Barguil venait de donner raison à ses détracteurs. Il les a depuis renvoyés dans leurs pénates de fort belle manière. Sans épreuves, les héros ne se construisent pas. Et Barguil est un coureur au destin glorieux.

Sa victoire un 14 juillet n’a rien d’un hasard, elle dénote de cette belle romance entamée avec le Tour. Il a su se sacrifier pour son copain de chambrée, Michael Matthews quand celui-ci en avait besoin. « Ça va être beau de partager ça avec Michael sur les Champs », s’enthousiasmait d’ailleurs le Breton à l’arrivée, alors que Marcel Kittel a abandonné les routes et son maillot vert. Son aide à Romain Bardet, annoncée hier, démontrée aujourd’hui, donne plus de relief encore à ce nouveau héros national. « J’ai tout donné pour lui au point que je n’ai même pas réussi à faire le sprint derrière. Je lui avais dit que je le ferais et je pense avoir tenu parole. »

Destinée à la Virenque ?

Le matin, au paddock, les fans qui viennent encourager leurs idoles sont encore le plus souvent massés devant le bus d’AG2R. La possible victoire de Romain Bardet sur le Tour soulève les espérances. Mais les cœurs se dirigent aussi souvent vers le Breton et sur la route, il y en a sans doute autant pour lui que pour Bardet. Les similitudes avec le démiurge Richard Virenque sont légions. Excepté le côté sulfureux hérité de l’affaire Festina, Richard Virenque était ce grimpeur romantique, résolument offensif, ce type un peu naïf à la voix nasillarde si reconnaissable et appréciée des foules qui avait soulevé le peuple à travers ses épopées. Warren Barguil paré de pois s’en approche un peu plus. Aujourd’hui, si l’on ne peut encore parler de Barguilmania comme on avait évoqué la Virenquemania dans les années 90, le grimpeur de Sunweb s’est imposé dans les cœurs.

Il manque néanmoins une petite chose au Breton pour devenir l’indéniable coqueluche du public. Être dans les clous du général. Son potentiel sans limite laisse songeur. Aujourd’hui, pour la première fois cette année, il est demeuré sagement dans les roues. Résultat ? Il est le seul à être resté avec Chris Froome, Rigoberto Uran, Romain Bardet et Mikel Landa. Et ce malgré une chute dans les premiers kilomètres qui lui a fait très peur : « Des fois une chute suffit pour tout arrêter, et je me suis dit : ‘Non j’espère que ça ne va pas se finir aujourd’hui.’ C’est comme ça, c’est dommage, mais je suis en vie. J’arrive à finir avec les meilleurs, donc c’est que ça va. »

Lors de sa victoire à Foix déjà, il avait fait mieux que résister aux favoris, ramenant aisément un Quintana incapable de relayer sur Landa et Contador. Alors il est légitime de penser que si Warren Barguil se concentrait sur le général, avec une bonne préparation, sans blessure, animé par l’envie, il pourrait jouer dans la cour des plus grands. Grand espoir, entouré d’attentes incroyables, le coureur de Sunweb, n’avait jamais vraiment pris de plaisir sur le Tour à cause de cette pression du général. Maintenant qu’il a assez apprécie la joie de la liberté sur la Grande Boucle, il peut penser revenir à ses ambitions originelles. Il a d’ailleurs avoué courir aujourd’hui pour rentrer dans les dix. L’appétit vient en mangeant.

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