Emanuel Buchmann est un grand timide. Il ne parle pas fort, ne répond jamais en plus d’une phrase. Au talent d’orateur, il a préféré développer son don pour le vélo. Jeune, talentueux et complet, il est l’un des coureurs allemands qui comptent désormais dans l’élite du cyclisme mondial. Itinéraire d’une promesse qui tarde à éclore complètement.

Dans une nouvelle dimension

Cette année, Emanuel Buchmann dispute son troisième Tour de France. À seulement 24 ans, l’expérience accumulée est déjà grande. « Pendant les deux autres Tours, nous étions une toute petite équipe, peut-être la plus petite de la Grande Boucle. C’était bien plus dur de se battre pour avoir un bon positionnement. Cette année, Bora est une meilleure équipe, cela rend les choses beaucoup plus simple. » Les arrivées cumulées de Rafal Majka et Peter Sagan ont fait changer de dimension la jeune structure allemande. Mais Buchmann n’a pas attendu que l’équipe grandisse pour être surveillé par la concurrence. Troisième de la onzième étape du Tour 2015, derrière Rafal Majka et Dan Martin, il avait déjà marqué les esprits. L’avenir promis à ce néo-pro de 22 ans était alors radieux. Depuis, le garçon n’est pas devenu incontournable mais il « a progressé et il franchit un cap chaque année », nous assure Enrico Poitschke, son directeur sportif.

La réflexion faite, la progression est réelle. L’an passé, il avait terminé 21e du Tour, un premier beau classement sur un grand tour, même si l’objectif était de rentrer dans le top 20. Cette année, après sa dixième place en Romandie, il s’est illustré sur le Dauphiné, septième et maillot blanc avec un plateau proche de celui de la Grande Boucle. Pour la tunique du meilleur jeune, il a battu Louis Meintjes, excusez du peu. Avec une superbe quatrième place lors de la dernière étape, il a prouvé qu’il avait le potentiel pour faire de grandes choses dès aujourd’hui. Mais l’Allemand veut encore prendre son temps : « Cette année, mon rôle est d’aider Majka, d’apprendre de lui. Majka est plus qu’un coureur pour moi, c’est un vrai capitaine. Il me parle beaucoup pendant la course. Je pense que c’est très important de suivre ses conseils. Par exemple, il se met toujours en bonne position, j’essaie de faire de même. » Buchmann est encore un élève. Surdoué.

Le renouveau de l’Allemagne

Mais la chute du Polonais hier a changé la donne. Avec l’exclusion de Peter Sagan plus tôt dans la semaine, l’équipe Bora compte sur son espoir pour porter haut les couleurs de la marque. Buchmann a récupéré le leadership, une lourde fonction. Mais sa virtuosité pourrait lui permettre de s’en sortir plutôt bien. Déjà champion d’Allemagne l’an passé, il s’est permis de laisser la victoire à son équipier Marcus Burghardt cette année, alors qu’ils arrivaient tous les deux seuls dans la dernière ligne droite. « C’est l’un des principaux talents que l’on ait en Allemagne, peut-être le meilleur pour les grands tours », s’émerveille Enrico Poitschke. Cela fait des années qu’outre-Rhin, on espère voir un coureur jouer les premiers rôles sur la plus grande des courses. Depuis les podiums des controversés Andreas Klöden et Jan Ullrich. Une génération géniale mais maudite que Buchmann a d’abord admiré, puis abandonné. « Jan Ullrich fut mon idole quand j’étais très jeune mais il ne l’était plus au moment où j’ai commencé le cyclisme. » Le natif de Ravensburg s’excuserait presque d’avoir un jour adulé le renégat du vélo.

Avec son talent, certains espèrent le voir succéder à son aîné dont le souvenir est refoulé. Son directeur sportif croit dur comme fer en son protégé : « Nous espérons que dans quelques années il sera assez fort pour jouer les premiers rôles sur le Tour. Le gagner sera compliqué, mais il est toujours jeune et il a beaucoup de potentiel, donc s’il continue de progresser, beaucoup de choses peuvent arriver. » Emanuel Buchmann, sur la retenue, est bien plus modéré. « Je ne pense pas à gagner sur le Tour, c’est un trop gros objectif, mais je veux entrer dans les dix premiers dans les prochaines années, c’est mon but. » Coureur très complet, l’Allemand aura certainement son mot à dire dans les années qui arrivent. « Il grimpe très bien et il est relativement bon en contre-la-montre, où il a une belle marge de progression », décrit Enrico Poitschke.

Le profil idoine pour remporter, un jour peut-être, le Tour. En difficulté sur la Planche des Belles-Filles néanmoins, où il a terminé 22e à plus d’une minute de Fabio Aru, l’espoir de Bora doit encore travailler. « Il doit surtout progresser sur les changements de rythme dans les cols, reprend Poitschke. Pour réussir à suivre les attaques, moins subir. Il doit encore apprendre là-dessus et travailler. ». Quatorzième à la Station des Rousses, 24e à Chambery, Emanuel Buchmann occupe aujourd’hui la 18e place du général, à plus de quatre minutes du top 10. L’Allemagne n’a peut-être pas encore trouvé son nouveau Kaiser mais une promesse s’inscrit en pointillés pour les toutes prochaines années.

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