Il y a des coureurs qui font d’une course celle de leur vie. Alfredo Binda est de ceux-là, et lui avait choisi le Tour d’Italie. A une époque où les médias n’avaient pas la portée d’aujourd’hui, l’Italien qui refusait de s’exporter hors de ses frontières trop régulièrement est resté méconnu pour beaucoup. Et pourtant, Henri Desgrange lui-même le considérait comme « le plus grand routier de l’histoire ».

Quand le Giro devient synonyme de Binda

C’est en France qu’Alfredo Binda connaît ses premières heures sur une selle, et ses premières victoires aussi, qui inquiètent les grands italiens de l’époque que sont Belloni et Girardengo. Mais alors qu’il pense à se faire naturaliser, l’équipe Alcyon lui propose un contrat qu’il juge indécent. Vexé, il repart dans son pays natal et rejoint la formation Legnano : il ne la quittera plus, et se montrera très réticent à l’idée de revenir courir dans l’Hexagone. Du coup, il fait des courses italiennes son terrain de chasse, et l’épreuve qui n’est pas encore rose, le Giro, devient logiquement l’un de ses objectifs majeurs. Dès sa première année sous ses nouvelles couleurs, il s’impose à Milan. Girardengo n’est pas loin au classement général, et aura cumulé les victoires d’étapes. Mais Binda reste solide malgré ses 22 printemps seulement, et montre à ses ainés qu’il est un concurrent sérieux. Belloni avait vu juste en se méfiant du petit jeune.

L’année suivante, Giovanni Brunero vengera la vieille garde en remportant le Giro du haut de ses 31 ans. Binda finit deuxième malgré six victoires d’étapes, contre une seul pour Brunero. Il connaît la même mésaventure que Girardengo un an avant lui, les rôles sont inversés. Touché dans son orgueil, Binda prend sa revanche en 1927, quelques mois après avoir conquis son deuxième Tour de Lombardie. Il remporte 12 des 15 étapes que comporte le quinzième Tour d’Italie, reste leader du premier au dernier jour et devance à l’arrivée Brunero, son bourreau de l’année passée, de presque 30 minutes. Cette année-là, le Lombard remportera toutes les courses se déroulant sur le sol italien, à l’exception d’un Milan-Sanremo qu’il bouclera à la deuxième place. Champion du monde en fin d’année, la machine est lancée : les Tours d’Italie 1928 et 1929 lui reviennent presque facilement, et il complète son palmarès sur les plus grandes classiques transalpines.

L’Italie est las, pas lui

Mais en 1930, c’est tout un pays qui n’en peut plus de la domination du Lombard. Binda gagne trop pour les tifosi, qui ne souhaitent pas le voir courir le Giro. Les organisateurs sont conscients de cette lassitude, et pour le bien de leur épreuve, offrent 22 500 lires (soit la prime du vainqueur final) à Alfredo Binda pour qu’il ne s’aligne pas au départ de la plus grande épreuve italienne. Contre sa volonté, le quadruple champion d’Italie en titre se tourne vers la Grande Boucle. Tout heureux de voir une telle star courir son épreuve, Henri Desgrange avait mis en place les équipes nationales, pour remettre son épreuve sur le devant de la scène. Binda était donc là pour promouvoir le Tour. Sauf qu’après quelques jours, pris dans une chute, le natif de Cittiglio est diminué, et les Français ne lui font pas de cadeau. Sur l’étape entre Bordeaux et Hendaye, le transalpin perd plus d’une heure. Prouvant une nouvelle fois qu’il était très orgueilleux, Binda alla s’imposer les deux jours suivants, dans les deux étapes phares des Pyrénées.

L’honneur sauf, celui qui était surnommé le « grimpeur assis » pouvait quitter la Grande Boucle et préparer les Championnats du Monde, qu’il remportera pour la deuxième fois, et qui précéderont un troisième titre historique en 1932. Entre temps, Binda revient à ses premiers amours et court de nouveau le Giro. Mais en 1931, année où est créé le maillot rose, il ne gagnera pas, obligé d’abandonner à mi-course après avoir porté le paletot quelques jours. En 1932, sa dernière grande année, il courra la course rose placé, mais jamais gagnant : pas de victoire d’étape et une septième place finale. La saison suivante, comme après tous ses échecs, Binda réagit donc, et de belle manière. S’il n’est plus en mesure d’être en forme toute la saison, il l’est sur le Giro, où il remporte six étapes et s’impose à Milan, comme à la bonne époque. Coïncidence ou non, c’est à 30 ans que le quadruple vainqueur du Tour de Lombardie gagne pour la dernière fois sur le Giro. Comme Belloni, et comme Girardengo avant lui. Mais Binda avait un truc en plus que ces deux là, et aujourd’hui encore, à défaut du contraire, quand on pense Binda, on pense Giro.

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