Une bouillabaisse d’émotions. C’est cette soupe de sentiments contraires qu’a offert, bien malgré lui, Romain Bardet à Marseille aujourd’hui. Le stade Vélodrome, loin d’être plein mais très bruyant, a connu la cruauté et la joie qui traverse ce si poétique et difficile sport cycliste.

Espoir et désespoir

« Romain, Romain, Romain ». Le stade Vélodrome grondait pour son champion quand celui-ci montait sur la rampe de départ. Deux minutes plus tard, quand son rival britannique en tunique jaune s’élançait, les sifflets accompagnaient son élan. La foule y croyait, dur comme fer, Romain pouvait le faire. Dans cet espoir fou résonnaient les paroles du leader d’AG2R qui annonçait à qui voulait l’entendre depuis deux jours qu’il n’avait jamais été meilleur en contre-la-montre qu’en troisième semaine. Un peu de méthode Coué, d’auto-persuasion pour prendre confiance avant le dernier duel. Vincent Lavenu l’admettait à l’arrivée, « l’espoir au départ était grand, on pouvait rêver de graal, tout était possible. » Mais une fois les coureurs sur le circuit, longeant un Vieux Port bien plus garni que le stade, l’ambiance s’est vite refroidie. « Il sentait que ça ne tournait pas rond. Les premiers coup de pédales étaient rassurants, il était dans le rythme mais on a vite vu qu’il était pas dans l’allure », nous raconte Vincent Lavenu. Dès ce matin, les présages étaient mauvais. Son directeur sportif Stéphane Goubert regrettait que la caravane ait en partie empêché le repérage : « Romain est quelqu’un qui a besoin de repérer le parcours des contre-la-montre, mais ça a été pareil pour tout le monde… »

« Papa, je crois que je n’y crois plus. »

Dans le Vélodrome, un enfant muni du drapeau AG2R se retournait vers son paternel l’air hagard dès le premier intermédiaire : « Papa, je crois que je n’y crois plus. » Le Français avait déjà quarante-quatre secondes de retard sur Froome. Pire, la deuxième place se dérobait également sous les faibles coups de pédale de l’Auvergnat. « Je ne me sentais pas bien. Quand c’est difficile comme ça, il faut plus pédaler avec sa tête qu’avec ses jambes », avoua Bardet après coup. « Il avait très chaud, il a énormément tapé dedans dans l’Izoard, c’est peut-être un contrecoup », rationalisait son manager. L’arrivée de Warren Barguil dans le Vélodrome détendait un peu l’atmosphère. Saluant d’une main son public, le Breton soulageait une seconde la tension ambiante. Une fois les regards tournés à nouveau vers les grands écrans, le constat était terrible. La longue agonie du Français se poursuivait dans la côte vers Notre-Dame-de-la-Garde, après quinze kilomètres. « On a espéré qu’il puisse se refaire dans Notre-Dame de la Garde mais il a eu du mal à basculer sur le sommet et le final a été terrible, il n’avançait pas », raconte Vincent Lavenu. Incapable de relancer, entre une danseuse hésitante et une position écrasée sur sa machine, Romain Bardet se noyait dans le port de Marseille. « La montée dans Notre-Dame de la Garde a été un vrai supplice », soufflait-il en conférence de presse.

Silence et fracas

Au Vélodrome, la stupeur commençait à gagner le stade : le tricolore était en train de laisser filer le podium. L’impression était terrible, la scène presque angoissante. Mikel Landa tranchait la ligne dans un temps bien plus canon que ses présumés qualités ne le laissaient envisager, à cinquante et une secondes de Maciej Bodnar, le leader provisoire. Pour Bardet il n’était plus question de se battre pour la victoire, mais de lutter pour garder sa place sur un podium que tout le monde pensait acquis. Alors, la foule exorcisait son angoisse en reprenant les chants en l’honneur de son héros national. Puis, de nouveau le silence investissait la place, l’ombre jaune de Chris Froome menaçait maintenant Romain Bardet, pourtant parti deux minutes plus tôt.

« Je suis censé avoir 47 ans mais au moment ou je vous parle j’en ai 77 ! »

Stéphane Goubert

Il fallait se reprendre, pour le stade comme pour le coureur qui était en train de tout perdre. Alors le stade a rugi une dernière fois pour accueillir Bardet en son sein. La ligne franchie pourtant, un silence de cathédrale emplit le Vélodrome. Dans cette atmosphère particulière qui touche au drame. La perte se mesurait en minutes, et le podium se jouait désormais à la seconde. La foule attendait l’annonce, dans l’expectative d’un soulagement salvateur. Le speaker d’Eurosport brisait le néant en exultant debout, son casque sur les oreilles. C’était fait, Romain Bardet avait sauvé son podium, il avait évité le cataclysme. « Je ne savais pas que j’avais sauvé le podium quand je suis arrivé, je voulais juste terminer le plus vite possible. J’ai appris la nouvelle peu de temps après quand j’ai pu reprendre mes esprits. »

Le stade jubilait d’une étrange euphorie. Dans le bus AG2R, le stress était aussi à son paroxysme, suivi d’une allégresse à la hauteur du soulagement. Stéphane Goubert, après quelques accolades avec les techniciens en riait, soulagé. « Je suis censé avoir 47 ans mais au moment où je vous parle j’en ai 77 ! » Le directeur sportif avouait que la catastrophe avait été évitée de justesse : « Une seconde en moins, ça aurait été une déception, redescendre du podium, ça aurait été injuste. » La grande fête était passée près de l’apocalypse, elle en était presque plus belle. La France a toujours préféré les perdants magnifiques.

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